« Penser régionalement et agir localement »

La détérioration de la situation sécuritaire dans certaines des régions frontalières les plus négligées et les plus vulnérables au climat de l’Afrique de l’Ouest, comme la région du lac Tchad ou la région du Liptako-Gourma, est alarmante à tous points de vue. Dans une zone géographique comparable en taille à la France, le crime organisé et les groupes armés non étatiques accroissent leur influence et prennent le pouvoir. Il est également très inquiétant que l’État islamique étende sa portée à travers l’Afrique et que l’Afrique de l’Ouest soit devenue une soupe alphabétique de groupes militants. En 2020, 24 millions de personnes avaient besoin d’aide humanitaire et de protection dans la région du Sahel, le nombre le plus élevé jamais enregistré. De plus, la situation ne semble pas devoir s’améliorer de sitôt : la région du lac Tchad accueille à elle seule plus de 3 millions de personnes déplacées, dont plus de la moitié sont des enfants. Le conflit continue de s’intensifier, sans être interrompu par la pandémie : au Burkina Faso, par exemple, plus d’un million de personnes ont été déplacées à l’intérieur du pays, soit une multiplication par quatre en un an. L’urgence affecte déjà la Mauritanie et risque de se propager davantage dans les pays côtiers du Bénin, de la Côte d’Ivoire, du Ghana et du Togo.

Ces régions limitrophes sont vastes et ont une forte concentration de populations périphériques délaissées ; ce mélange volatil a le potentiel de se propager aux pays et régions voisins. Dans ces zones, 40 % des événements violents et des décès se produisent à moins de 100 kilomètres d’une frontière nationale, une tendance qui met en évidence le fait que les groupes criminels et militants prospèrent dans des régions frontalières négligées où la présence de l’État est faible, où la concurrence accrue pour les ressources vulnérables exacerbe les communautés. tensions, et où une population très jeune et pauvre est facilement entraînée dans le crime et la violence. Les frontières nationales donnent également aux groupes illégaux un avantage stratégique : la portée de l’État s’arrête là, de sorte que ces groupes peuvent facilement traverser la frontière. Les frontières sont également une source pratique de revenus, en taxant le commerce ou en se livrant à la contrebande. Ces conflits se propagent facilement d’un pays à l’autre.

Ces tendances récentes révèlent également que les réponses nationales isolées sont débordées et inefficaces. En outre, les réponses régionales coordonnées qui mettent souvent l’accent sur une approche sécuritaire, telles que la Force opérationnelle multinationale conjointe dans la région du lac Tchad ou le G-5 Sahel, se contentent d’éteindre les incendies tout en laissant les causes profondes sans réponse. Les communautés locales ont fait preuve d’une résilience remarquable mais sont également à un point de rupture.

La construction d’une paix durable dans un pays donné et la prévention de futurs conflits ne peuvent réussir que si elles sont coordonnées, régionales, centré sur la communauté des solutions sont trouvées.

Dans ce contexte, la construction d’une paix durable dans un pays donné et la prévention de futurs conflits ne peuvent réussir que si elles sont coordonnées, régionales, centré sur la communauté des solutions sont trouvées. En effet, des stratégies visant à remédier à la longue histoire de négligence de l’État et de mauvaise gouvernance ainsi qu’à réparer le contrat social affaibli entre un gouvernement et ses citoyens doivent être incluses dans l’approche. Encore une fois, ces points chauds de sécurité nécessitent des approches à la fois régionales et communautaires :

  • Régional, parce que la fragilité ne respecte pas les frontières nationales. La crise sécuritaire a contraint les pays d’Afrique de l’Ouest à développer des manières pragmatiques de travailler ensemble. Une plus grande coopération régionale stratégique et une compréhension commune des causes régionales de la fragilité, des conflits et de la violence (FCV) peuvent aider les pays à s’attaquer à certains des moteurs à long terme au lieu de simplement « effleurer la surface » en s’attaquant aux symptômes.
  • Centré sur la communauté, parce que placer la communauté au centre du développement, y compris le contrôle communautaire sur les décisions de planification et les ressources d’investissement, permet la fourniture de services et d’infrastructures locales à grande échelle de manière efficace et inclusive. Cette approche s’est avérée particulièrement efficace dans les contextes fragiles et touchés par les conflits. Quelques exemples d’une telle approche incluent le projet de redressement et de développement de la région du lac Tchad (PROLAC) de la Banque mondiale et le projet de redressement et de stabilisation à base communautaire pour le Sahel. Dans le cadre de ces projets, la Banque mondiale, en collaboration avec un large éventail de partenaires, tente d’opérationnaliser une approche « penser régionalement et agir localement ».

Ces projets soutiennent, d’une part, l’accès à des données opportunes et de qualité et à des analyses ciblées au niveau régional, et éclairent – par le biais de la diplomatie du développement régional – des stratégies et des priorités à long terme, y compris la conception d’investissements pluriannuels pour lutter durablement contre les facteurs FCV. Les plateformes de connaissances et de suivi, telles que celle soutenue par le PROLAC et hébergée par la Commission du bassin du lac Tchad, peuvent aider les décideurs politiques à surveiller les risques et à établir une compréhension commune pour harmoniser les approches dans la conception des programmes de développement local.

D’autre part, ces projets visent à soutenir, grâce à une approche centrée sur la communauté, l’alignement des investissements au niveau communautaire avec les stratégies de développement nationales et régionales. Cela comprend la fourniture de programmes d’intervention multisectoriels intégrés, tels que l’amélioration de la prestation de services de base, les infrastructures communautaires, la restauration de moyens de subsistance résilients, l’amélioration de la connectivité aux marchés, aux routes et le développement de chaînes de valeur régionales. Dans le projet de relèvement et de stabilisation à base communautaire pour le Sahel, par exemple, le processus d’identification et de hiérarchisation des investissements est dirigé par les communautés elles-mêmes, et la participation des jeunes et des femmes et d’autres groupes vulnérables (y compris les personnes déplacées de force) est assurée dans ces consultations communautaires.

Cette approche locale-régionale jette les bases d’une planification stratégique et efficace à long terme des investissements de développement dans la sous-région. L’établissement d’une collaboration et de partenariats étroits entre les pays et entre les partenaires de développement est une étape cruciale pour y parvenir. Les solutions doivent être régionales parce que la fragilité ne respecte pas les frontières nationales : Les solutions régionales centrées sur les personnes ont le potentiel d’être un nouveau rempart puissant contre la vague de conflits et de fragilité qui se propage rapidement en Afrique de l’Ouest.

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