Quelles sont leurs implications pour les pays en développement ?

L’action mondiale contre le changement climatique a été lente. En 2015, les signataires de l’Accord de Paris ont décidé de limiter la hausse des températures à moins de 2 degrés Celsius par rapport aux niveaux préindustriels en ramenant les émissions à zéro net d’ici la seconde moitié du siècle. En février 2021, une première évaluation couvrant 40% des signataires de l’accord a montré peu de progrès.

Alors que les actions volontaires sont au point mort, en juillet 2021, l’Union européenne (UE) a proposé un plan global pour stimuler les efforts d’atténuation du changement climatique. Le plan comprend un mécanisme d’ajustement aux frontières du carbone (CBAM), qui vise à égaliser les redevances sur la teneur en carbone des biens dans l’UE, quel que soit l’endroit où ils ont été produits en imposant des taxes sur le carbone aux frontières. La proposition couvre initialement le ciment, le fer et l’acier, l’aluminium, les engrais et l’électricité; toute redevance carbone déjà payée à la source sera déduite.

Le CBAM proposé pourrait aider à atténuer les « fuites ». Lorsque les émissions sont limitées dans le pays d’origine, par exemple par des mécanismes de plafonnement et d’échange, les entreprises peuvent délocaliser la production dans d’autres pays pour éviter les restrictions, ce qui crée des paradis pour la pollution. Les consommateurs du pays d’origine peuvent alors acheter des importations moins chères et exemptes de taxe sur le carbone plutôt que les alternatives nationales plus chères. Le fait que la plupart des pays à revenu élevé soient devenus des importateurs nets de CO2 alors que la plupart des économies en développement sont des exportateurs nets, cela indique que les fuites sont un problème sérieux. Les taxes sur le carbone aux frontières peuvent supprimer cet effet en égalisant efficacement les prix du carbone pour les producteurs nationaux et étrangers sur le marché intérieur.

Effets sur les émissions dans les pays en développement

Bien que les pays en développement puissent bénéficier à long terme des efforts mondiaux d’atténuation, étant donné leur plus grande exposition aux risques climatiques, à court terme, ils peuvent être peu incités à entreprendre des réductions d’émissions coûteuses. Le CBAM peut-il les inciter à se conformer ? Pour répondre à cette question, nous utilisons un exemple hypothétique simple (Figure 1), repris de Mattoo et.al. (2012).

Nous considérons un monde avec deux économies : une avancée (identifiée par *) et une en développement. Sans tarification du carbone, chaque pays produit jusqu’à ce que la valeur marginale de son bien tombe à zéro (le prix des émissions). Ainsi, à l’équilibre initial, le pays avancé émet O* E0, le pays en développement émet OE0, et la valeur totale de la production des pays avancés et en développement sont respectivement données par les triangles A* O* E0 et AOE0.

Figure 1. Prix du carbone : conformité vs non-conformité

Prix ​​du carbone : conformité vs non-conformité

Remarques : les lignes pleines indiquent la valeur du produit marginal des émissions dans les économies avancées (noires) et en développement (bleues). Les aires sous les courbes indiquent la valeur totale de la production.
Source : auteurs.

Supposons que le pays avancé impose un prix du carbone, p*1, ce qui réduit ses émissions à O* E*1 et sortie au trapèze A* O* E*1 C*. Le pays en développement a le choix : soit se conformer et appliquer le même prix du carbone au niveau national, soit faire face à un tarif à la frontière équivalent à p*1. Dans le cas d’un prix national du carbone, les émissions du pays en développement diminuent à OE1 et sa sortie se rétrécit au trapèze AOE1C. S’il fait face à un tarif douanier, les émissions sont réduites à OE2 et sa sortie vers le triangle BOE2. Fait important, à moins que le pays avancé n’ait un pouvoir de marché total, le prix du bien du pays en développement chuterait d’un certain montant (p2), qui est inférieur au tarif d’émission (p1).

Quelle politique le pays en développement préférerait-il ? Cela dépend d’une comparaison de l’aire du triangle (BOE2) et celui du trapèze (AOE1C), ce qui ne peut se faire sans données. La conformité est plus probable lorsque le pays en développement est moins intensif en carbone (plus UNE), le prix du carbone est plus bas (plus petit p*1, et/ou le pays en développement absorbe une part plus importante de la charge tarifaire (plus p2), comme dans le cas d’un petit exportateur de matières premières vendant un produit indifférencié.

Dans cet exemple monosectoriel, les taxes aux frontières réduisent les émissions dans le pays en développement dans les deux cas, et surtout en conformité par un effet d’échelle. Il y a cependant d’autres forces en jeu. Si les exportations sont plus intensives en carbone que d’autres secteurs dans le pays en développement, alors la CBAM peut déplacer les ressources vers des secteurs plus propres, réduisant davantage les émissions grâce à un effet de composition. Si les exportations sont moins intensives en carbone que d’autres secteurs, les prix du carbone peuvent déplacer les ressources vers des secteurs plus polluants, entraînant une augmentation des émissions. Enfin, un niveau inférieur d’échanges avec les économies avancées peut réduire l’accès à des technologies plus propres, ralentissant la transition hors des industries sales. Dans l’ensemble, l’impact net sur les émissions variera d’un pays à l’autre.

Éthique et politique

Pour certains pays, la tarification du carbone au niveau national et l’évitement des taxes à la frontière peuvent être l’option la moins coûteuse. Ceci, cependant, peut susciter des objections pour des motifs éthiques ou politiques.

La majeure partie des émissions totales de gaz à effet de serre (GES) à ce jour a été produite par les économies avancées. Pourtant, comme illustré dans l’exemple ci-dessus, avec des économies moins efficaces (A), un prix commun du carbone pèsera probablement davantage sur les économies en développement que sur les économies avancées. De plus, les mandants des pays en développement peuvent également être moins disposés à payer pour le climat. Certaines recherches suggèrent qu’un meilleur environnement et un meilleur climat peuvent être des produits de luxe, c’est-à-dire que la volonté de les payer est considérablement plus faible aux niveaux de faible revenu. Si cela est vrai, les pays en développement pourraient être confrontés à une plus grande résistance politique contre les réglementations sur les émissions de carbone.

Ces préoccupations peuvent être atténuées par une mise en œuvre plus nuancée et ciblée de la tarification du carbone et des taxes aux frontières. Mais trouver et mettre en œuvre le « bon » prix du carbone différencié par pays, produit et industrie est une tâche notoirement difficile. Lorsqu’une Ford est fabriquée aux États-Unis, seulement 40 % de ses pièces sont produites aux États-Unis ou au Canada. Le reste vient de différents pays du monde. Identifier le pays d’origine de millions de pièces, puis vérifier la véritable teneur en carbone à chaque étape de la transformation, est une entreprise colossale.

Politiques complémentaires pour les taxes aux frontières

Les transferts des pays avancés vers les pays en développement peuvent aider à répartir plus équitablement le fardeau des taxes sur le carbone aux frontières entre les pays. Cependant, avec des structures institutionnelles faibles dans de nombreux pays en développement, le simple fait de mettre davantage de transferts en espèces et rien d’autre sur la table est peu susceptible d’assurer des résultats économiques et climatiques positifs. La solution réside dans l’alignement des politiques commerciales, climatiques et nationales. C’est une tâche difficile, mais les étapes suivantes peuvent vous aider.

  • Rendre le CBAM « protection-neutre » pour les pays en développement. Les taxes aux frontières devraient viser à rendre les émissions de carbone plus coûteuses en modifiant les prix relatifs et ne devraient pas être utilisées pour ériger des barrières protectionnistes. Ceci peut être réalisé par une réduction équivalente des autres barrières commerciales (tarifaires ou non tarifaires), en particulier pour les secteurs, produits ou entreprises plus propres.
  • Rendre les technologies propres plus accessibles aux pays en développement. Certains suggèrent que les innovations technologiques ont fait plus pour sortir les gens de la misère que l’aide au développement. Les téléphones portables en Afrique, les systèmes de paiement mobile au Kenya et les panneaux solaires au Yémen ont montré qu’avec les bonnes conditions, il est possible de passer à des technologies plus propres. Le CBAM peut favoriser les transferts de technologie dans les « bonnes » industries en modifiant les prix relatifs en faveur de technologies plus propres. Des programmes de transfert de technologie ciblés peuvent contribuer grandement à renforcer cet effet et à compléter des mécanismes d’aide plus conventionnels.
  • Utiliser tous les leviers pour aligner les politiques nationales. Les échecs de coordination entre les pays peuvent conduire à un « nivellement par le bas ». Les subventions à l’énergie donnent aux producteurs nationaux un avantage de coût qui encourage la production de produits manufacturés à forte intensité énergétique. En revanche, en Amérique latine, les producteurs manufacturiers sont désavantagés en raison d’une électricité chère malgré l’abondance de sources d’énergie propres et bon marché telles que l’hydroélectricité ; le prix élevé de l’électricité reflète les inefficacités des réseaux de distribution d’électricité nationaux. Le CBAM peut aider à réduire ces échecs de coordination en modifiant les prix relatifs, mais il reste encore beaucoup à faire pour éliminer les distorsions nationales, surtout si trop de pays restent non conformes.

Le CBAM proposé est un changeur de jeu bienvenu qui peut aider à stimuler l’atténuation du changement climatique. Pour le rendre transformateur, plutôt que punitif, et pour éviter un monde bipolaire avec les pays riches et verts et les pays pauvres et polluants commerçant principalement entre eux, davantage d’efforts sont nécessaires pour concevoir un CBAM qui fonctionne pour tous les pays.

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