L’incohérence des relations stratégiques globales

Tout ce discours sur le repli stratégique et l’autonomie est le langage de l’escalade, pas de l’apaisement et de la collaboration.

Cette pièce a été publiée à l’origine dans Kathimerini et est à paraître dans Helsingin Sanomat.

« Il existe une vérité fondamentale du XXIe siècle dans chacun de nos propres pays et en tant que communauté mondiale », Le président Joe Biden a déclaré aux Nations Unies le 21 septembre. « Notre propre succès est lié à celui des autres.« 

Les actions de Biden semblent cependant prendre une direction différente. Le retrait d’Afghanistan marquait la fin de la poursuite d’un ensemble d’objectifs, tandis que la reprise d’une alliance anglo-saxonne avec le Royaume-Uni et l’Australie à AUKUS marquait la poursuite d’un autre objectif, celui de contenir la Chine. Il est important de noter qu’AUKUS montre également la patience limitée que les États-Unis ont avec l’Union européenne lorsqu’il s’agit de construire des alliances « aux vues similaires » pour poursuivre ses propres objectifs stratégiques.

L’UE, quant à elle, n’est pas encore prête à aligner ses objectifs sur ceux des États-Unis en ce qui concerne la Chine. Les Européens ne veulent pas être au milieu d’une «guerre froide» émergente entre les États-Unis et la Chine. Ils ne croient pas que cette guerre les concerne et ne voudraient pas se retrouver dans la position inconfortable de devoir choisir entre les deux. L’UE souhaite s’engager avec la Chine en tant que partenaire commercial et d’investissement majeur, elle souhaite donc à tout le moins rester neutre. Mais il veut aussi le faire à ses propres conditions, peut-il donc se permettre de rester neutre ?

L’UE a signé un accord d’investissement global avec la Chine à la fin de l’année dernière. Mais cet accord n’a pas été ratifié et n’est toujours pas mis en œuvre. Alors que l’UE avait de très bonnes raisons, à savoir la violation des droits de l’homme, de suspendre l’accord, je me demande comment cela a pu affecter la perception de la Chine quant à la volonté de l’UE de s’engager et de coopérer ?

Il n’est pas difficile d’imaginer qu’avec les États-Unis en concurrence ouverte et l’UE tacitement peu coopérative, la Chine ne va pas se porter volontaire pour devenir un bon « citoyen du monde ». Prenez le climat par exemple.

Il serait naïf de la part de l’Europe et des États-Unis d’attendre de la Chine qu’elle coopère sur des questions liées au climat, tout en tolérant une « attaque » de l’alliance occidentale contre sa stratégie économique.

La Chine s’est engagée à devenir neutre en carbone d’ici 2060, dix ans plus tard que l’UE et les États-Unis. Déjà, ce retard d’une décennie pèse sur le budget carbone mondial. De plus, les émissions de la Chine continueront d’augmenter jusqu’en 2030, et il existe un doute important quant à sa capacité à atteindre les objectifs à court ou à long terme. Si l’on considère que le revenu annuel par habitant de la Chine (9 700 $) n’est qu’une fraction de celui de l’UE (36 000 $) et des États-Unis (63 000 $), la Chine est clairement incitée à retarder son adaptation au climat.

Peut-on compter sur la volonté de la Chine de coopérer sur le climat alors que son droit au développement et à la croissance la dissuade de le faire ? À tout le moins, nous devrions nous attendre à ce que la Chine utilise le climat comme levier pour obtenir des concessions sur d’autres questions.

Mais surtout, qu’adviendra-t-il des objectifs climatiques de l’UE et des États-Unis si la Chine choisit de ne pas coopérer ?

La réponse à cette question devrait nous aider à comprendre l’incohérence entre la nature globale des problèmes auxquels nous sommes confrontés d’une part, et la formation d’alliances aux vues similaires, d’autre part.

Le discours de l’UE sur « l’autonomie stratégique » montre sa volonté, au moins, de faire cavalier seul lorsqu’elle n’obtient pas ce qu’elle veut. Reste à voir comment cela va se dérouler. L’UE continuera-t-elle à rechercher une neutralité évasive, ou ses paroles seront-elles soutenues par des actions qui garantissent son autonomie à l’avenir ?

Aux États-Unis, il est peut-être vrai que le récit du « premier américain » n’est plus présent, mais il a été remplacé par celui du « retranchement stratégique » : se retirer et reconsidérer puis se regrouper avec tous ceux dont les intérêts et les motifs sont alignés sur ceux de les Etats Unis. Et comme cela se fait à partir de la position de suprématie militaire, les États-Unis mènent, à tout le moins, une guerre «froide» contre la Chine. On craint qu’il ne s’agisse d’une véritable guerre.

Tout ce discours sur le repli stratégique et l’autonomie est le langage de l’escalade, pas de l’apaisement et de la collaboration. Et pourtant, tous sont d’accord, notamment le président Biden dans son discours à l’ONU, que les biens communs mondiaux nécessitent des solutions mondiales. Il est incohérent, voire carrément nuisible, de voir l’engagement mondial se dissoudre en un nivellement par le bas.


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