Quelle est la gravité du déficit de stockage de gaz naturel en Europe ?

L’Europe pourrait ne pas avoir suffisamment de gaz naturel en stock pour l’hiver à venir ; une surveillance étroite de la situation sera essentielle.

La position de l’Europe en gaz naturel est incertaine à l’horizon 2022. La forte demande du premier semestre 2021 n’a pas permis une constitution significative de réserves de gaz dans les stockages avant la période hivernale. En conséquence, l’Europe est devenue particulièrement dépendante des importations. La réticence de la Russie à augmenter ses exportations et les marchés serrés du gaz naturel liquéfié (GNL) ont fait craindre que l’Europe ne soit confrontée à une crise énergétique cet hiver, qui verra le gaz stocké s’épuiser rapidement. La figure 1 compare le stockage de gaz en 2021 avec les valeurs moyennes entre 2016 et 2020. En janvier, le volume de gaz stocké était légèrement supérieur à cette moyenne, mais en octobre, il était nettement inférieur à la moyenne. La figure montre comment la demande, les importations et la production ont contribué à ce changement.

Source : Bruegel d’après Eurostat.

En décembre 2021, les niveaux de stockage sont inférieurs au volume minimum enregistré pour cette période de l’année au cours de l’une des cinq années précédentes. A la mi-décembre 2021, l’Europe disposait de 690 TWh de gaz en stockage. En moyenne de 2016 à 2020, il a fallu attendre la troisième semaine de janvier pour que les réserves baissent aussi bas.

Pour mieux comprendre la situation dans laquelle se trouve l’Europe, nous explorons des scénarios hypothétiques pour cet hiver, en partant du volume de stockage réel au 1er décembre 2021, qui était de 744 térawattheures (TWh). La figure 3 utilise des hypothèses statiques pour chacun des scénarios afin de projeter l’évolution du gaz stocké.

Scénarios pour cet hiver

Notre analyse est volontairement simpliste (voir détails ci-dessous) mais offre un aperçu de deux facteurs : un hiver plus froid que d’habitude sera une très mauvaise nouvelle pour l’Europe, et les importations doivent rester au minimum au niveau moyen des cinq dernières années. Notre analyse étant statique, elle ne prend pas en compte le fait que les prix agissent comme un mécanisme d’équilibrage entre la demande et l’offre. L’interprétation est donc que dans les scénarios de stockage négatif ou faible, des prix extrêmement élevés resteraient sur les marchés européens afin de forcer la demande hors réseau (qu’elle provienne de l’industrie ou des consommateurs finaux) ou d’encourager des importations plus élevées. Des prix très élevés depuis septembre montrent que la demande résiste aux hausses de prix, c’est-à-dire que la demande de gaz naturel est très inélastique.

Projection de stockage

L’augmentation de la demande hivernale en gaz doit être satisfaite par le gaz stocké, le gaz produit dans le pays et le gaz importé. En d’autres termes:

Cette équation offre une bonne approximation de l’évolution du stockage de gaz sur quelques périodes (voir annexe). Nous utilisons cette équation pour calculer l’évolution du gaz stocké illustré à la figure 3. Ci-dessous, nous expliquons les hypothèses qui sous-tendent cette analyse.

Production domestique

La production européenne de gaz a diminué ces dernières années en raison de la fermeture de gisements de gaz. Cela a réduit la capacité de production. De plus, les gisements de gaz domestiques ont été utilisés pour une « production d’appoint », ce qui signifiait une augmentation de l’offre pendant les mois d’hiver pour répondre à une demande plus élevée, et leur absence est donc plus fortement ressentie pendant les mois d’hiver. Jusqu’à présent, la production en 2021 a étroitement reflété celle de 2020 et nous supposons que cela continuera d’être le cas pour l’hiver à venir.

L’évolution des importations et de la demande est moins certaine.

Importations

Bruegel a compilé une base de données des importations européennes de gaz naturel, sur la base des données du réseau européen des gestionnaires de réseau de transport de gaz (ENTSOG). En utilisant les cinq dernières années, nous estimons des scénarios d’importations moyennes, d’importations faibles (les importations faibles correspondent à la valeur minimale importée chaque mois au cours des cinq dernières années) et d’importations très faibles (impliquant l’absence de gaz exporté de Russie).

Modèle de demande simple

Au-delà des prix, les fluctuations de la demande seront largement induites par les écarts de température. Les figures ci-dessous montrent cette forte corrélation[1]. En d’autres termes, la demande européenne de gaz sera élevée par rapport aux normes historiques si l’hiver est particulièrement froid.

Pour faire des prévisions de demande simples, basées sur des hypothèses de température, nous adaptons la demande mensuelle à une régression linéaire avec une variable explicative des degrés-jours de chauffage (DJC) et des variables muettes mensuelles.

Cela nous permet d’estimer la demande moyenne et plus élevée pour l’hiver à venir sur la base d’hypothèses du nombre moyen ou le plus élevé de degrés-jours de chauffage (DJC, voir note 1) au cours des cinq années précédentes.

Il existe une certaine élasticité pour réduire la demande en remplaçant la production d’électricité au gaz par celle au charbon. En moyenne, environ 75 TWh de gaz sont utilisés chaque mois entre décembre et mars pour la production d’électricité (Ember, 45 TWh de production d’électricité avec une efficacité de turbine à gaz de 60 %, 2018-2021).

Conclusion

L’équilibre de l’approvisionnement en gaz naturel de l’Europe doit être surveillé de près au cours des prochains mois car il est déjà très tendu et il pourrait être difficile de compenser les chocs négatifs supplémentaires du côté de la demande, de la production nationale et/ou des importations. S’il devient évident que, contrairement aux attentes actuelles, les prix élevés du marché n’apporteront pas suffisamment de nouveaux approvisionnements et/ou n’encourageront pas une réduction suffisante de la demande de gaz pour assurer la satisfaction de la demande essentielle pendant un hiver froid, les décideurs auront besoin de suffisamment de temps pour agir. Nous continuerons à mettre à jour notre base de données de suivi des importations et du stockage de gaz et fournirons une mise à jour de cet article de blog au début de chaque mois.


appendice

[1] Les degrés-jours de chauffage comparent la température extérieure moyenne quotidienne à une température de référence (en Europe, 15,5 degrés Celsius). La différence entre cette ligne de base et la moyenne est égale au nombre de disques durs, par exemple un jour avec une température moyenne de 5,5 degrés Celsius a 10 disques durs.


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