Renforcer la résilience du système financier européen dans la crise des coronavirus

L'Europe a une structure financière fortement bancaire, mais les structures financières bancaires sont associées à un risque systémique plus élevé que les structures financières basées sur le marché. Le niveau plus élevé de risque systémique en Europe incite à la prudence dans la poursuite de politiques qui stimulent la prise de risques et la création de dettes par les banques, en particulier dans le sillage de COVID-19. La priorité devrait être donnée à la diversification financière et au financement par actions.

Les structures financières basées sur les banques et sur le marché mobilisent l'épargne, allouent le capital, les risques de prix et absorbent les chocs de différentes manières. Alors que les banques pratiquent l'intermédiation financière et supportent des risques sur leurs bilans, les marchés canalisent les ressources directement des épargnants vers les emprunteurs, servant de plateformes par lesquelles les actions et les titres de créance sont évalués, distribués et négociés. Une question clé est de savoir si les différences de structure financière sont associées au risque systémique, ce qui a des implications sur les efforts de politique publique pour soutenir l'activité économique réelle.

La littérature publiée après la Grande crise financière de 2008 parle généralement en faveur de systèmes financiers fondés sur le marché. En effet, les crises financières sont plus graves dans les structures bancaires que dans les structures financières basées sur le marché (voir par exemple Gambacorta et al, 2014). Dans les structures bancaires, le risque systémique peut être plus important car les banques sont des institutions fortement endettées et interconnectées, avec des asymétries d'échéances importantes dans leurs bilans et des liens directs avec l'infrastructure de paiement. En revanche, le risque systémique peut être plus faible dans les structures financières fondées sur le marché, car les marchés canalisent les ressources directement des épargnants vers les emprunteurs et sont moins dépendants de l'intermédiation par le biais d'institutions fortement endettées et interconnectées avec de grandes asymétries de bilan et des liens avec les systèmes de paiement. De plus, le financement de marché se redresse rapidement lors des crises bancaires et, s'il est bien développé, fonctionne comme une alternative à l'intermédiation financière des banques (Becker et Ivashina, 2014; Crouzet, 2018). Cela réduit la perturbation du flux des services financiers et sert ainsi à protéger l'économie réelle.

Les différences dans les structures financières des pays correspondent à des différences dans la dynamique à court terme de la probabilité de défaillance des systèmes bancaires (graphique 1). Pendant la crise financière (indiquée par la zone ombrée de la figure 1), la probabilité de défaut du système bancaire n’a que légèrement augmenté aux États-Unis, qui ont un système de financement basé sur le marché. Mais il a considérablement augmenté en Allemagne et au Japon, qui ont des structures financières relativement bancaires. Cela suggère que les différences entre les pays en termes de leurs structures financières aident en effet à expliquer les différences de stabilité financière.

Figure 1: Probabilités de défaillance du système bancaire dans les structures financières basées sur les banques et sur le marché

Source: Bruegel d'après la base de données de la Banque mondiale sur le développement financier mondial (GFDD; version de juillet 2018). Notes: Ce graphique montre deux intervalles de temps, respectivement, de la structure financière d’un pays et de la probabilité de défaillance de son système bancaire. La structure financière est représentée par le ratio de l’encours de crédit bancaire d’un pays sur la somme de la dette du secteur non financier et de la capitalisation boursière. La probabilité de défaillance du système bancaire est mesurée par l'inverse du score Z du système bancaire d'un pays, indexé à 2000. La zone ombrée représente la crise financière mondiale.

Pour explorer empiriquement la relation entre la structure financière et le risque systémique, nous avons estimé des modèles de régression linéaire et non linéaire pour un panel de 22 pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (Bats et Houben, 2020). L'indicateur de structure financière représente le ratio du crédit bancaire sur la dette non financière totale et la capitalisation boursière. L'indicateur de risque systémique mesure le montant nominal du déficit de fonds propres attendu des institutions financières cotées en bourse, y compris les non-banques. Deux autres indicateurs de risque systémique sont utilisés pour des contrôles de robustesse distincts.

Notre analyse a quatre conclusions clés. Premièrement, les résultats confirment que les structures financières bancaires sont associées à un risque systémique plus important que les structures financières basées sur le marché. Le risque systémique augmente plus que proportionnellement lorsque le financement bancaire augmente par rapport au financement de marché. Deuxièmement, la relation est non linéaire (figure 2). Le risque systémique est minimisé lorsque la structure financière est relativement basée sur le marché. Troisièmement, le financement bancaire ne contribue plus au risque systémique dans des structures financières relativement basées sur le marché. Une structure financière diversifiée est donc importante. Des régressions de seuil distinctes montrent que dans les structures financières relativement bancaires, comme en Europe, le financement bancaire augmente le risque systémique, tandis que le financement de marché diminue le risque systémique. En revanche, dans les structures financières relativement basées sur le marché comme les États-Unis, le financement bancaire et de marché n'a pas d'impact significatif sur le risque systémique. Quatrièmement, d'un point de vue systémique, le financement boursier est préférable au financement par emprunt, qu'il s'agisse du financement par emprunt de marché ou bancaire. Cela reflète la façon dont le financement par actions augmente la capacité d'absorption des pertes et réduit ainsi le risque systémique.

Figure 2: Relation non linéaire entre la structure financière et le risque systémique


Source: Bats et Houben (2020). Notes: Cette figure montre la relation non linéaire entre la structure financière et la valeur prédite du risque systémique estimée par Bats et Houben (2020). L’axe vertical représente la valeur prévue du risque systémique en pourcentage du total des actifs des institutions financières. L'axe horizontal est le ratio du crédit bancaire à la dette non financière et à la capitalisation boursière.

Implications politiques dans le contexte de COVID-19

La pandémie de COVID-19 et les restrictions comportementales qui y sont liées ont provoqué un ralentissement économique sans précédent. Pour atténuer le ralentissement, les politiques monétaires et prudentielles visent à soutenir les flux de financement vers l'économie réelle. Dans la mise en œuvre de cette relance politique, la structure financière est importante. En effet, les différentes conceptions de ces politiques reflètent des différences de structure financière. En particulier, si l'expansion du bilan de la Réserve fédérale a été principalement tirée par des achats à grande échelle de titres de créance et de mécanismes de financement pour une multitude de participants au marché, l'expansion du bilan de l'Eurosystème est principalement liée à l'augmentation des prêts aux banques. Ces opérations de prêt de l'Eurosystème visent à fournir des crédits des banques à l'économie réelle (graphique 3). En outre, les autorités européennes ont assoupli les politiques du secteur financier pour soutenir davantage la capacité de prêt des banques, notamment en libérant des tampons macroprudentiels et une plus grande flexibilité dans les exigences microprudentielles. Pendant ce temps, les banques ont accordé des congés au service de la dette et de nouveaux crédits pour aider les clients à traverser ce qui est supposé être une crise temporaire.

Figure 3: Eurosystème et Réserve fédérale lfin et détention de titres avant et après l'épidémie de COVID-19 (en% PIB)

Source: Bruegel basé sur la Réserve fédérale et l'Eurosystème. Notes: Ce graphique montre les montants des avoirs en titres et des prêts à des fins de politique monétaire par la Fed et l'Eurosystème en tant que ratio du PIB (T4 2019). La zone grisée représente le montant total des sinistres au début de la crise corona (fin février 2020). Les lignes diagonales indiquent le montant total des demandes à la mi-mai 2020.

Stimuler les marchés des capitaux en Europe

Bien que l'objectif des mesures politiques de COVID-19 soit de soutenir les prêts bancaires à l'économie réelle, nos résultats mettent en évidence une autre considération. Le niveau plus élevé de risque systémique en Europe appelle à la prudence lorsqu'il s'agit de stimuler la création de dette et la prise de risque par les banques, car cela peut conduire à une instabilité financière. Autrement dit, ce qui a commencé comme une crise dans l'économie réelle ne doit pas conduire à une tension systémique dans le secteur financier, ce qui en fin de compte aggrave la crise. Pour préserver le fonctionnement du système financier en période de crise, deux aspects de la structure financière méritent une attention particulière en Europe.

Premièrement, l'Europe a besoin de plus de diversité dans son secteur financier. La perturbation des flux financiers est moindre lorsque davantage de sources de financement coexistent. Un financement accru par le biais des marchés permettra également de réduire les risques systémiques posés par le lien entre les banques souveraines et de répartir les risques de crédit en privé, au-delà des frontières nationales. Il existe une force structurelle à l'œuvre dans le système financier européen qui contribue déjà à davantage de financements fondés sur le marché. Alimentée par l'augmentation de l'épargne retraite, la montée des investissements institutionnels stimule le développement des marchés de capitaux européens. En effet, les investisseurs institutionnels préfèrent investir dans des titres négociables tels que des obligations et des actions (Darvas et Schoenmaker, 2018). L'investissement institutionnel professionnel entraîne également une baisse du biais d'origine dans les portefeuilles d'obligations et d'actions, ce qui améliore le partage des risques et favorise l'intégration des marchés des capitaux.

Cependant, la figure 4 montre que l'augmentation de la part relative de la dette de marché et du financement par actions a stagné après 2015. Ironiquement, les progrès dans la diversification de la structure financière de la zone euro ont ralenti depuis le début de l'union des marchés des capitaux de l'UE (CMU). Cela contraste avec le déclin soutenu de la domination des banques au cours des sept années qui ont suivi la Grande crise financière, reflétant entre autres les effets sur le lit de l'eau des exigences prudentielles plus élevées pour les banques (Cizel et al, 2018). Pour accroître la part relative des financements fondés sur le marché en Europe, les efforts politiques visant à soutenir l'UMC doivent donc être considérablement intensifiés.

Figure 4: La structure du financement des entreprises privées non financières

Source: Bruegel d'après les statistiques de crédit de la BRI, l'entrepôt de données statistiques de la BCE et les données économiques de la Federal Reserve Bank of St. Louis. Notes: Ce graphique montre l'évolution du crédit bancaire aux sociétés non financières privées dans la zone euro et aux États-Unis en rapport avec: 1) le total du crédit aux sociétés non financières privées; 2) la somme du crédit total aux sociétés non financières privées et des actions cotées émises par des sociétés non financières privées. Toutes les données représentent les positions de clôture du bilan (c'est-à-dire les actions), de sorte que les rachats d'actions sont pris en compte. GFC = Grande crise financière.

La relance de la CMU nécessite des mesures dans un large éventail de domaines politiques (voir Sapir et al, 2018; CEPS-ECMI, 2019). En particulier, sur le plan institutionnel, la création d'un organe de surveillance fort au centre de l'UE est nécessaire pour favoriser l'intégration des marchés des capitaux. C'est devenu urgent. Le Brexit a provoqué des activités sur le marché des capitaux de Londres qui nécessitent un passeport pour opérer dans l'UE pour se déplacer vers les pays de l'UE27. L'Autorité européenne des marchés financiers (ESMA) devrait passer de son rôle de coordinateur des autorités nationales de surveillance à un organe de surveillance doté de pouvoirs directs. L'AEMF deviendrait alors l'autorité de surveillance centrale (dans un modèle à centres et à rayons avec autorités de surveillance nationales) du marché des capitaux de l'UE, de la même manière que la Securities and Exchange Commission sur les marchés des capitaux américains (Sapir et al, 2017). D'autres domaines politiques peuvent également contribuer. Par exemple, les achats d'obligations de sociétés par la Banque centrale européenne contribuent à une structure financière plus diversifiée en réduisant la dépendance des grandes entreprises à l'égard des banques (Bats, 2020).

Le deuxième aspect est que l’Europe devrait renforcer la résilience de son secteur financier en augmentant la part des financements porteurs de risques des entreprises. Plus de financement par actions est le premier meilleur moyen de réduire le risque systémique en Europe. Les programmes visant à soutenir les entreprises avec des capitaux propres peuvent renforcer les incitations à la transition pour relever les défis du COVID-19, tout en augmentant la capacité de perte de l'économie (Boot et al, 2020). La réglementation et les procédures d'émission d'actions devraient être rationalisées en conséquence. Plus fondamentalement, le moment est venu de s'attaquer au biais budgétaire favorisant l'endettement par rapport au financement par actions.

Citation recommandée
Bats, J., A. Houben et D. Schoenmaker (2020) «Stimuler la résilience du système financier européen dans la crise des coronavirus», Blog Bruegel, 17 juillet, disponible sur https://www.bruegel.org/2020/07/boosting-the-resilience-of-europes-financial-system-in-the-coronavirus-crisis/

Références

Bats, J. (2020) «La dépendance des entreprises à l'égard des banques: l'impact des achats du secteur des entreprises de la BCE», Documents de travail DNB 667, De Nederlandsche Bank

Bats, J. et A. Houben (2020) «Bank-based versus market-based finance: Implications for systemic risk», Journal of Banking & Finance 114, 105776

Becker, B. et V. Ivashina (2014) «Cyclicality of credit supply: firm level evidence», Journal of Monetary Economics 62: 76-93

Boot, A., E. Carletti, H.-H. Kotz, J.-P. Krahnen, L. Pelizzon et M. Subrahmanyam (2020) «Corona and Financial Stability 3.0: Try Equity – Risk sharing for companies, small and small», Lettre de politique SAFE 81, Francfort

Groupe de travail CEPS-ECMI (2019) Rebranding Capital Markets Union – Un plan d'action pour le financement des marchés

Cizel, J., J. Frost, A. Houben et P. Wierts (2019) «Politique macroprudentielle efficace: substitution intersectorielle des mesures de prix et de quantité», Journal of Money, Credit and Banking 51 (5): 1209-1235

Crouzet, N. (2018) «Conséquences globales des choix de dette des entreprises», Examen des études économiques, 85 (3): 1635-1682

Darvas, Z. et D. Schoenmaker (2018) «Institutional Investors and Development of Europe’s Capital Markets», dans D. Busch, E. Avgouleas et G. Ferrarini (éd.) L'union des marchés des capitaux en Europe, Oxford University Press

Gambacorta, L., J. Yang et K. Tsatsaronis (2014) «Financial structure and growth», Revue trimestrielle BRI, Mars: 21-35

Sapir, A., D. Schoenmaker et N. Véron (2017) «Tirer le meilleur parti du Brexit pour le système financier de l'UE27», Note politique 2017/1, Bruegel

Sapir, A., N. Véron et G. Wolff (2018) «Making a reality of Europe’s Capital Markets Union», Note politique 2018/8, Bruegel


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