Le changement climatique est sur le point de transformer la nature dans laquelle nous vivons, menaçant les pauvres et les vulnérables plus que quiconque. De nombreuses personnes, dont le Groupe de la Banque mondiale dans son projet de feuille de route pour l’évolution, ont suggéré d’inclure la « résilience » comme critère central de développement. Cependant, contrairement à d’autres critères tels que les niveaux de revenu, la résilience n’est ni bien définie ni facilement mesurable. Dans une nouvelle étude, nous revisitons la définition de la résilience, soutenons qu’elle n’est pas l’inverse de la « fragilité » et décrivons comment les institutions économiques affectent le compromis entre les deux.
Résilience et fragilité
La résilience est récemment devenue l’un des concepts les plus populaires dans la littérature. Il a même été suggéré comme mot de l’année en 2021, puis à nouveau en 2022. Malgré sa popularité, la résilience est souvent utilisée de manière ambiguë, voire comme un antonyme de fragilité, ce qui viole les définitions du dictionnaire. Considérez un verre d’eau. L’eau est plus fragile que le verre (elle change plus facilement de forme sous la pression), mais elle n’en est pas moins résistante (elle rebondit plus facilement).
La distinction entre les deux concepts va au-delà de la sémantique. Pour voir cela, prenez un indicateur qui mesure quelque chose de bien (plus c’est mieux), disons le revenu. Supposons qu’il soit à (je) niveau normalement (Figure 1). Lorsqu’une catastrophe frappe à temps (t), le revenu tombe à (je) puis revient progressivement à son niveau normal au fil du temps.
Figure 1. Définition de la fragilité et de la résilience pour un indicateur donné
Dans cet exemple simple, la fragilité peut être définie comme la taille relative de l’impact immédiat, (je) en tant que part de (je). Alors que la résilience se concentre uniquement sur la vitesse de récupération après le choc, c’est-à-dire (B) en tant que part de (A+B). Cette distinction entre les deux concepts peut être déterminante dans la conception de politiques de préparation et de relèvement face aux catastrophes naturelles. Par exemple, dans le cas d’un tremblement de terre, la capacité de l’infrastructure à résister aux secousses (fragilité) et la rapidité avec laquelle l’économie rebondit après la catastrophe (résilience) dépendent de différents mécanismes (le degré de protection antisismique des bâtiments par rapport à la capacité de stimuler l’économie locale avec des transferts monétaires, par exemple). La capacité à faire la distinction entre ces deux mécanismes permet également de découvrir des schémas intéressants dans la manière dont les systèmes naturels et économiques font face aux chocs climatiques, sur lesquels nous nous tournons ensuite.
Compromis fragilité-résilience dans les écosystèmes et les systèmes économiques
Des recherches écologiques récentes fournissent une analyse complète de la sensibilité des écosystèmes côtiers aux cyclones tropicaux en utilisant l’approche ci-dessus. Un indicateur de résistance intrinsèque (l’inverse de la fragilité) mesure dans quelle mesure un écosystème peut rester inchangé malgré des perturbations telles que des changements de vent, de température ou de précipitations. De plus, un indicateur de résilience intrinsèque capte la capacité d’un écosystème à revenir à l’état de référence après une perturbation. L’étude trouve un compromis systématique entre la résistance intrinsèque aux chocs météorologiques et la résilience intrinsèque à travers différents écosystèmes et organismes. Par exemple, alors que les espèces avec des vies relativement longues, une maturité sexuelle retardée (faible reproduction) et une faible mobilité des adultes ont tendance à développer une résistance élevée aux perturbations, d’autres avec une mobilité élevée et des cycles de fertilité plus courts (par rapport aux cycles des cyclones tropicaux) ne bénéficient pas beaucoup de la résistance et se concentrent plutôt sur le développement de la résilience.
Dans nos simulations, nous avons détecté des arbitrages similaires dans les systèmes économiques. Par exemple, toutes choses étant égales par ailleurs, le commerce avec d’autres pays (c’est-à-dire l’ouverture dans la terminologie économique) peut rendre une économie à la fois plus fragile et plus résiliente (graphique 2.a). L’effet de fragilité est facile à expliquer. Une économie ouverte avec un avantage comparatif dans l’agriculture aurait un secteur agricole plus important qu’une économie fermée, avec une plus grande exposition aux chocs naturels (plus fragile). Dans un cas extrême, une économie ouverte entièrement spécialisée dans la production alimentaire serait plus sensible aux sécheresses qu’une économie fermée mais plus diversifiée.
En comparaison, l’effet de résilience est plus complexe et dépend de la manière dont l’économie propage le choc naturel. Après le choc, il peut « creuser » en allouant plus de main-d’œuvre à l’agriculture pour freiner la baisse de la production alimentaire, mais alors ses actifs naturels mettront plus de temps à se reconstituer sous une telle pression des récoltes et la reprise sera lente (moins résiliente). Alternativement, il peut « s’en sortir » en réaffectant la main-d’œuvre à d’autres secteurs après le choc, ce qui accélère la reprise (plus résiliente). Notre analyse montre que, toutes choses étant égales par ailleurs, une économie ouverte est plus susceptible de s’effondrer qu’une économie fermée. Pour le voir, notez que lorsqu’un choc naturel réduit la production alimentaire, l’économie ouverte peut répondre à la demande excédentaire en important de la nourriture, ce qui laisse les prix inchangés. En revanche, une économie fermée doit freiner la demande intérieure excédentaire en augmentant les prix des denrées alimentaires, ce qui réduit les sorties de main-d’œuvre de l’agriculture et retarde la reprise. Par conséquent, si l’ouverture peut accroître la fragilité en élargissant le secteur sensible à la nature, elle peut accroître la résilience en accélérant la régénération des actifs naturels.
Figure 2. Surmonter l’arbitrage fragilité-résilience dans les systèmes économiques
Notes : Les chiffres montrent la différence entre les économies ouvertes (orange) et fermées (bleu) dans les dimensions de résilience et de fragilité. Chaque figure montre deux paires, l’une avec une faible élasticité de substitution des intrants dans l’agriculture, et l’autre élevée.
Avidité ou ingéniosité humaine sur la nature ?
Contrairement aux systèmes naturels, les économies peuvent surmonter le compromis fragilité-résilience. L’observation précédente selon laquelle les économies ouvertes sont à la fois plus fragiles et plus résilientes est valable lorsque les droits de propriété ne sont pas bien définis pour les actifs naturels, par exemple en l’absence de régime foncier. L’introduction de meilleurs droits de propriété supprime ce compromis, et l’économie ouverte devient à la fois moins fragile et plus résiliente (graphique 2.b). En effet, avec des droits de propriété complets sur les actifs basés sur la nature, l’extraction des ressources naturelles est plus lente (le problème du pool commun est éliminé) et l’exposition aux chocs naturels est réduite (moins de fragilité).
Malheureusement, une telle ingéniosité humaine a aussi des limites. Les politiques qui coordonnent les actions humaines pour des gains à long terme (comme celles qui internalisent le coût social de la dégradation naturelle) ont leurs propres faiblesses. Prenons une économie fermée. Un planificateur social peut améliorer le bien-être par rapport à une pure économie de laissez-faire simplement en s’attaquant au problème de l’externalité dans la nature. Cependant, cela se fait au prix d’une plus grande fragilité et d’une plus faible résilience à court terme grâce aux mécanismes de « creuser » par opposition à « évacuer ». En conséquence, dans un monde volatil où des chocs consécutifs maintiennent le système économique loin de ses conditions normales, un système institutionnel autrement préférable peut sous-performer pendant une période prolongée.
Nos résultats illustrent le contraste familier entre les tentations du laisser-faire et la promesse d’une intervention optimale, exprimée ici dans le contexte de la fragilité et de la résilience. Le laisser-faire peut atténuer la douleur du changement climatique avec sa fragilité réduite et sa résilience accrue à court terme, tandis que les politiques interventionnistes traitent les distorsions en tolérant des coûts plus élevés à court terme qui seront compensés par des gains à long terme. Alors que le changement climatique augmente la volatilité, le compromis risque-rendement impliqué par ces deux approches devra probablement être recalibré. En fin de compte, peut-être que la véritable ingéniosité de l’humanité réside dans sa capacité à adapter ses institutions à une nature changeante.