Alors que COVID-19 se répandait à travers le monde, les gouvernements ont réagi par une augmentation sans précédent des mesures d’aide sociale. Les décideurs politiques ont dû se concentrer sur les zones urbaines, en particulier les bidonvilles, dont les habitants ont été les plus durement touchés par la pandémie et son impact économique. Les filets de sécurité sociale, ciblant traditionnellement la pauvreté chronique dans les zones rurales, ont dû être réinventés du jour au lendemain : le nouvel objectif était d’empêcher les travailleurs informels touchés par les confinements de retomber dans la pauvreté. Des innovations passionnantes dans la conception et la prestation des transferts sociaux ont suivi, avec de nouvelles leçons nous informant, alors que le monde continue de lutter contre la pandémie.
COVID-19 à Kinshasa : Un scénario mission impossible
Kinshasa, la capitale de la République démocratique du Congo (RDC), en est un exemple. Les effets sociaux et économiques de la crise ont été dévastateurs dans cette mégapole de 15 millions d’habitants, dont les deux tiers étaient pauvres avant la pandémie. Les pertes d’emplois, les hausses de prix et la baisse des envois de fonds ont rapidement accru la vulnérabilité financière de la plupart des ménages. La situation nécessitait un programme de transferts monétaires d’urgence à grande échelle, même si aucune des conditions préalables n’était en place : aucune administration de programme sur laquelle s’appuyer, aucun registre social ou dossier fiscal pour cibler les bénéficiaires et un écosystème financier faible pour effectuer les paiements. En bref, le programme devait être construit à partir de zéro, à distance et rapidement.
Le Fonds Social de la RDC a relevé le défi avec le programme Solidarité par Transferts Economiques contre la Pauvreté à Kinshasa (STEP-KIN). Quel était le plan ?
10 étapes pour mettre en place un programme de transfert d’argent à partir de zéro
A. Identification de la population éligible
- Sélectionnez les quartiers pauvres en fonction de toutes les données disponibles, de l’imagerie satellitaire à la cartographie sujette aux inondations. Toutes les personnes vivant dans des zones sélectionnées ont été jugées éligibles au programme. L’erreur d’inclusion était faible : peu de riches vivent dans des quartiers pauvres.
- Signer des accords de confidentialité avec les opérateurs télécoms pour obtenir une liste anonymisée des abonnés au téléphone mobile vivant dans les zones ciblées (cartographie des tours cellulaires). Cette liste blanche de numéros de téléphone – accordant l’éligibilité au programme, par opposition à une liste noire – remplace le registre social.
- Filtrez cette liste blanche avec des filtres simples pour limiter davantage les erreurs d’inclusion, par exemple, pas de smartphones. La recherche montre que les données des téléphones portables (également appelées enregistrements des détails des appels) sont un indicateur fiable du statut de pauvreté. En fait, leur analyse peut être une alternative aux enquêtes classiques sur le bien-être.
B. Auto-enregistrement des bénéficiaires
- Mettre en place un système d’auto-inscription qui permet aux personnes éligibles d’exprimer leur intérêt à participer et de fournir à distance leurs informations. Pour fonctionner à grande échelle, le système doit être automatisé, en s’appuyant sur des technologies simples pour la collecte interactive de données mobiles.
- Lancez le processus d’auto-inscription en partageant les informations avec les personnes éligibles. Des messages écrits en masse (SMS) ou audio (IVR) sont envoyés à tous les numéros de la liste blanche. Une campagne radio – ou un autre canal de communication traditionnel – complète cette sensibilisation pour instaurer la confiance.
- Finaliser le registre des bénéficiaires du programme. Tous les abonnés de la liste blanche qui ont consenti à participer et partagé leurs données sont désormais les bénéficiaires du programme. Les informations recueillies doivent être minimales pour maximiser le taux de réponse et protéger la vie privée des répondants.
C. Paiement numérique des virements
- Demander aux opérateurs télécoms d’ouvrir un compte d’argent mobile pour tous les bénéficiaires. C’est simple car les bénéficiaires du programme sont déjà abonnés au téléphone. Selon la réglementation financière du pays, cette étape peut nécessiter un cadre Know-Your-Customer simplifié.
- Instruire les opérateurs pour initier les transferts sociaux aux bénéficiaires par le biais de paiements numériques. Remarque : cette étape et les deux suivantes sont standard dans tout programme de transfert d’argent numérique.
- S’assurer que tous les bénéficiaires peuvent encaisser les transferts, c’est-à-dire un large réseau de caisses dans des quartiers ciblés et des services clients dédiés. Cela nécessite également la mise en place d’un système de mécanisme de règlement des griefs comme une hotline 24h/24 et 7j/7.
- Mettre en œuvre des enquêtes de suivi post-distribution collecter des informations sur l’utilisation des transferts, confirmer l’efficacité du ciblage ex post, identifier les problèmes de conformité au plus tôt et renforcer la responsabilité.
Dans un effort indépendant, le Togo a utilisé une méthodologie similaire pour son programme réussi de transfert monétaire Novissi. D’autres exemples d’innovations technologiques pour chacune de ces 10 étapes abondent.
Source : Fonds social de la RDC.
Est-ce que ça marche? 100 000 bénéficiaires et ce n’est pas fini
En trois mois, STEP-KIN a identifié, enregistré et payé plus de 100 000 personnes dans 50 quartiers pauvres, devenant ainsi la plus grande opération monétaire à Kinshasa. Le programme s’étend maintenant à 250 000 bénéficiaires pour un total de 37,5 millions de dollars à transférer en versements mensuels de 25 $. Les 6 500 premières enquêtes randomisées post-distribution montrent que le ciblage a fonctionné, c’est-à-dire que les bénéficiaires sont pauvres et vulnérables, avec 40 pour cent de chômeurs et les 60 pour cent restants gagnant moins de 100 $ par mois en moyenne. Ils documentent également que l’objectif du programme est atteint : les bénéficiaires encaissent pour (i) répondre aux besoins alimentaires, (ii) dépenser pour la santé et l’éducation, (iii) réinvestir dans leurs moyens de subsistance et (iv) payer le loyer.
Les leçons et les défis à venir
STEP-KIN a été conçu par nécessité et déployé avec une approche d’apprentissage par la pratique. Cette approche de ciblage numérique « rapide et sale » fonctionne lorsque l’objectif est d’atteindre rapidement une grande population. La vitesse (et la rentabilité) l’emportent ici sur la précision. D’autres méthodes de ciblage seraient plus performantes là où les erreurs d’inclusion sont plus importantes, par exemple l’assistance aux ultra-pauvres. L’exploitation des données télécom nécessite un taux de pénétration mobile très élevé (92 % à Kinshasa). Dans de nombreux pays, cela ne fonctionnerait qu’en milieu urbain. De plus, nous devons faire attention aux conséquences imprévues : l’utilisation des technologies peut augmenter l’exclusion de facto des plus vulnérables, comme un taux d’inscription et de retrait plus faible des femmes (38 % des bénéficiaires). Des alternatives aux technologies, telles que l’enregistrement sur place, doivent toujours être proposées. Enfin, la protection de la vie privée des bénéficiaires est une priorité dans le traitement des données personnelles. Le programme doit respecter les normes reconnues de l’industrie en utilisant les données à des fins légitimes uniquement et de manière juste et transparente.
L’utilisation des données télécoms et des technologies mobiles n’est pas la panacée pour les filets de sécurité sociale. Cependant, compte tenu de la nouvelle focalisation sur la réponse aux crises dans les zones urbaines, pourquoi ne pas continuer à explorer cette solution prometteuse ?