Développement financier pour formaliser les économies

L’activité économique informelle est répandue dans le monde entier. En moyenne, cette activité représente environ un tiers de la production, et l’emploi informel représente près d’un tiers de l’emploi total (graphique 1). Elle compromet le recouvrement des recettes, freine la productivité, entrave les investissements et enferme certains des travailleurs les plus vulnérables dans des emplois mal rémunérés et improductifs. Pour les décideurs des pays où l’informalité est répandue, il s’agit d’un formidable défi.

Figure 1. Informalité dans le monde

Figure 1. Informalité dans le monde

Sources : Elgin et al. (2021).

Remarque : les barres sont des moyennes simples. « EMDE » signifie économies émergentes et économies en développement. La production informelle est représentée par des estimations basées sur un modèle d’équilibre général dynamique (DGE) en pourcentage du PIB officiel. Le travail indépendant, un indicateur courant de l’emploi informel, est exprimé en pourcentage de l’emploi total. Les moyennes mondiales entre 1990 et 2018 sont en orange.

Les systèmes financiers sous-développés ont souvent été identifiés comme une cause potentielle de l’informalité, mais la direction de la causalité a été difficile à cerner. Le développement financier peut influer sur les avantages et les coûts de l’activité économique informelle entreprise par les entreprises et les ménages. Les entreprises du secteur informel se caractérisent généralement par une petite taille, de faibles ratios capital/travail, un manque d’investissement, une faible productivité, une faible propension à mettre en œuvre de nouvelles technologies et des gestionnaires non qualifiés. En influençant les stratégies d’investissement des entreprises, le développement financier favorise la transition des entreprises informelles vers le secteur formel et, en fin de compte, encourage l’accumulation de capital et les améliorations de la productivité.

De nombreuses preuves empiriques montrent que le développement financier est corrélé à une réduction de l’informalité. De nombreuses études empiriques ont trouvé un résultat robuste et significatif, pour différents ensembles de pays, de périodes et de définitions du développement financier et de l’informalité, et en tenant compte de nombreux facteurs : un plus grand développement financier est associé à moins d’informalité (Figure 2).

Graphique 2. Développement financier et informalité

Graphique 2. Développement financier et informalité 1Sources : Ohnsorge et Yu (2022).

Remarque : les barres montrent des moyennes simples pour les EMDE sur la période 2010-18. « Informalité élevée » (« Informalité faible ») sont des économies de marché émergentes et en développement (EMDE) avec des mesures de la production informelle basées sur l’équilibre général dynamique (DGE) supérieures à la médiane (inférieures à la médiane). Les « succursales bancaires » mesurent le nombre de succursales de banques commerciales pour 100 000 adultes. Les « GAB » mesurent le nombre de guichets automatiques bancaires (GAB) pour 100 000 adultes. Le « crédit privé » mesure le crédit intérieur au secteur privé en pourcentage du PIB. La « possession de compte » est le pourcentage de répondants à l’enquête (âgés de 15 ans et plus) qui déclarent avoir un compte (seuls ou avec quelqu’un d’autre) dans une banque ou une autre institution financière, ou qui déclarent avoir personnellement utilisé un service d’argent mobile au cours des 12 dernières années. mois. *** indique que les différences entre les groupes ne sont pas nulles au seuil de signification de 10 %.

Des corrélations à la causalité

Mais est-ce le développement financier qui réduit l’informalité ou vice versa ? La littérature est divisée sur cette question.

Plusieurs études théoriques ont identifié les différents canaux pouvant donner lieu à une relation négative entre développement financier et informalité, avec une causalité qui peut jouer dans les deux sens. Ces études comparent essentiellement les coûts des opérations informelles, tels qu’un accès plus coûteux au financement externe, avec les avantages, tels que l’évitement des charges réglementaires et fiscales.

La principale notion qui sous-tend la plupart des études plaidant pour un lien de causalité entre le développement financier et l’informalité est qu’en présence d’asymétries d’information, les entreprises et les travailleurs informels sont confrontés à un coût de crédit plus élevé car ils sont plus opaques pour les créanciers externes. Un coût de financement élevé, à son tour, réduit l’attractivité de l’activité du secteur formel. À mesure que les marchés financiers se développent, le coût du crédit diminue et l’activité du secteur formel devient plus attrayante. Et pourtant, il y a aussi des arguments pour soutenir l’idée que la causalité va de l’informalité au moindre développement financier. Plus précisément, l’informalité plus répandue réduit l’investissement global, ce qui, à son tour, s’accompagne de marchés de capitaux moins profonds.

Cette approche montre qu’un plus grand développement financier réduit effectivement l’activité du secteur informel. Ce lien de causalité est plus fort dans les pays où l’ouverture commerciale et le compte de capital sont plus ouverts.

Dans notre nouvelle étude, nous utilisons une approche de variable instrumentale pour montrer que la direction de la causalité va d’un développement financier plus important à une activité plus faible du secteur informel. Plus précisément, l’approche exploite un aspect du développement financier qui est susceptible d’être le plus pertinent pour la grande majorité des travailleurs et des entreprises informels : la banque relationnelle. Les relations bancaires nécessitent des interactions étroites entre la banque et l’emprunteur et nécessitent généralement également la présence d’agences bancaires où ces relations peuvent être établies et entretenues. Inspirés par une abondante littérature qui documente le lien entre le développement du secteur bancaire national et étranger, nous utilisons la force des réseaux de succursales dans des pays géographiquement proches comme instrument de développement financier.

Cette approche montre qu’un plus grand développement financier réduit effectivement l’activité du secteur informel. Ce lien de causalité est plus fort dans les pays où l’ouverture commerciale et l’ouverture du compte de capital sont plus importantes (graphique 3). Les résultats sont robustes à l’utilisation d’indicateurs alternatifs de l’informalité et du développement financier.

Graphique 3. L’impact du développement du secteur bancaire sur l’informalité

Graphique 3. L'impact du développement du secteur bancaire sur l'informalitéSources : Capasso, Ohnsorge et Yu (2022)

Remarque : Les barres montrent les coefficients estimés pour les succursales des banques commerciales (utilisées comme approximation du développement du secteur bancaire) lors de la régression par rapport à la production informelle basée sur la DGE en tant que part du PIB officiel. « L’ouverture commerciale élevée (faible) » correspond aux pays où les flux commerciaux (c’est-à-dire les importations plus les exportations) en tant que part du PIB sont supérieurs (inférieurs) à la médiane. Les succursales des banques commerciales sont pour 100 000 adultes et instrumentées par le nombre moyen de succursales bancaires dans la région (à l’exclusion du pays considéré ; actualisé en fonction de la distance). Les données se situent entre 2004 et 2018. *** indique que les coefficients sont significatifs à un niveau de signification de 10 %.

Promesse politique

Pour les décideurs politiques, il s’agit d’une découverte prometteuse. Nos résultats suggèrent que les efforts visant à renforcer le développement financier, qui sont généralement entrepris pour des raisons sans rapport avec l’informalité, peuvent également être un outil efficace pour réduire l’informalité.

Un large éventail d’outils politiques a été identifié pour favoriser le développement financier et l’inclusion financière. Ces politiques ont souvent visé à accroître l’épargne et l’investissement intérieurs, à réduire la pauvreté et à réduire les vulnérabilités financières. Ils ont inclus, parmi beaucoup d’autres, des mesures pour renforcer les registres de crédit ; élargir les systèmes de paiement et bancaires mobiles ; numériser les transactions et les enregistrements ; et accroître la concurrence entre les prestataires de services financiers tout en renforçant la réglementation et la supervision. Nos résultats montrent que de telles politiques peuvent également accroître l’attractivité de l’exploitation formelle, en partie en supprimant les asymétries d’information et en réduisant les coûts de financement. Par conséquent, le développement financier peut être un élément efficace d’un programme politique plus large visant à réduire l’informalité.

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