Gumptious American de Tocqueville – AIER

En 1831, le grand français Alexis de Tocqueville a visité l’Amérique et en 1835 a publié le premier volume de Démocratie en Amérique. Tocqueville a offert une merveilleuse et mémorable caractérisation des Américains dans la vie commerciale. Le passage vaut la peine d’être lu et apparaît ci-dessous; après cela, je fais une remarque sur le caractère humain et notre temps présent. (Le texte provient des pages 385-8 de l’édition Mansfield & Winthrop, University of Chicago Press, 2000.)

De tout temps, les Anglo-Américains ont montré un goût prononcé pour la mer. L’indépendance, en rompant les liens commerciaux qui les unissaient à l’Angleterre, donna un élan nouveau et puissant au génie maritime. Depuis cette période, le nombre de navires dans l’Union a augmenté dans une progression presque aussi rapide que le nombre de ses habitants. Aujourd’hui, ce sont les Américains eux-mêmes qui rapportent chez eux les neuf dixièmes des produits en provenance d’Europe. Ce sont encore les Américains qui apportent les trois quarts des exportations du Nouveau Monde aux consommateurs européens.

Des navires américains remplissent les ports du Havre et de Liverpool. On ne voit que quelques fonds anglais ou français dans le port de New York…

Cela s’explique aisément: de tous les navires du monde, les navires américains traversent les mers à moindre coût. Tant que la marine marchande des États-Unis conservera cet avantage sur les autres, non seulement elle conservera ce qu’elle a conquis, mais elle augmentera chaque jour ses conquêtes.

Le problème de savoir pourquoi les Américains naviguent à un prix inférieur à celui des autres hommes est difficile à résoudre: on est d’abord tenté d’attribuer cette supériorité à quelques avantages matériels que la nature a mis à leur seule portée: mais ce n’est pas le cas. .

Les navires américains sont presque aussi chers à construire que les nôtres; ils ne sont pas mieux construits et ne durent généralement pas aussi longtemps.

Les salaires du marin américain sont plus élevés que ceux du marin européen; ce qui prouve que c’est le grand nombre d’Européens que l’on rencontre dans la marine marchande des États-Unis.

Comment se fait-il donc que les Américains naviguent à moindre coût que nous?

Je pense qu’on chercherait en vain les causes de cette supériorité en avantages matériels; elle est due à des qualités purement intellectuelles et morales…

Le navigateur européen ne s’aventure sur les mers qu’avec prudence; il ne part que lorsque le temps l’invite; si un accident imprévu lui arrive, il entre dans le port la nuit, il enroule une partie de ses voiles, et quand il voit l’océan blanchir à l’approche de la terre, il ralentit sa course et examine le soleil.

L’Américain néglige ces précautions et brave ces dangers. Il part alors que la tempête rugit encore; la nuit comme le jour, il ouvre toutes ses voiles au vent; en cours de route, il répare son navire, usé par la tempête, et quand il approche enfin de la fin de cette course, il continue de voler vers le rivage comme s’il apercevait déjà le port.

L’Américain fait souvent naufrage; mais il n’y a pas de navigateur qui traverse les mers aussi vite que lui. En faisant les mêmes choses qu’un autre en moins de temps, il peut les faire à moins de frais.

Avant d’arriver au terme d’un voyage au long cours, le navigateur européen estime devoir atterrir plusieurs fois en route. Il perd un temps précieux à chercher un port de détente…

Le navigateur américain quitte Boston pour aller acheter du thé en Chine. Il arrive à Canton, y reste quelques jours et revient. En moins de deux ans, il a parcouru toute la circonférence du globe, et il n’a vu la terre qu’une seule fois. Pendant une traversée de huit à dix mois, il a bu de l’eau saumâtre et a vécu de viande salée; il a lutté sans cesse contre la mer, contre la maladie, contre l’ennui; mais à son retour, il peut vendre la livre de thé pour un sou de moins que le marchand anglais: le but est atteint.

Je ne peux mieux exprimer ma pensée qu’en disant que les Américains mettent une sorte d’héroïsme dans leur manière de faire du commerce …

En Amérique, il arrive parfois que le même homme laboure son champ, construit sa demeure, façonne ses outils, fabrique ses chaussures et tisse avec ses mains le tissu grossier qui le recouvrira. Cela nuit à la perfection de l’industrie, mais sert puissamment à développer l’intellect de l’ouvrier. Il n’y a rien qui tend plus que la grande division du travail à matérialiser l’homme et à nier même la trace d’une âme dans ses œuvres. Dans un pays comme l’Amérique, où les spécialistes sont si rares, on ne peut exiger un long apprentissage de chacun de ceux qui embrassent une profession. Les Américains ont donc une grande facilité à changer de statut, et ils en profitent selon les besoins du moment. On en rencontre qui ont été successivement avocats, agriculteurs, commerçants, ministres évangéliques, médecins. Si l’Américain est moins habile que l’Européen dans chaque industrie, il n’y en a presque pas qui lui soit entièrement étranger. Sa capacité est plus générale, la sphère de son intellect est plus étendue. L’habitant des États-Unis n’est donc jamais arrêté par aucun axiome de statut; il échappe à tous les préjugés de la profession; … Il échappe aisément à l’empire que les habitudes étrangères exerceraient sur son esprit, car il sait que son pays ne ressemble à aucun autre et que sa situation est nouvelle dans le monde.

L’Américain habite une terre de prodiges, autour de lui tout bouge constamment, et chaque mouvement semble être un progrès. L’idée du nouveau est donc intimement liée dans son esprit à l’idée du mieux. Nulle part il ne perçoit une limite que la nature puisse avoir fixée aux efforts de l’homme; à ses yeux, ce qui n’est pas est ce qui n’a pas encore été tenté…

Les mêmes causes agissant en même temps sur tous les individus impriment en fin de compte une impulsion irrésistible au caractère national. L’Américain pris au hasard sera donc un homme ardent dans ses désirs, entreprenant, aventureux, avant tout innovateur.

Je sais ce que vous pensez: mais y a-t-il encore des Américains comme ça? Plutôt que l’Américain gommeux, c’est aujourd’hui si souvent l’Américain choyé, l’Américain abrité, l’Américain flocon de neige, l’Américain hypocrite, l’Américain victime, l’Américain «prends soin de moi».

Mais certains Américains ressemblent encore à la description de Tocqueville. Et la description peut inspirer les gens à retrouver l’esprit «je peux».

Je veux dire des gens partout. C’est peut-être ailleurs, aujourd’hui, que l’on est plus susceptible de voir des âmes affamées – actives, dévouées, mais respectant l’esprit du fair-play et les règles de la simple justice.

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