Quelles leçons l’Afrique peut-elle tirer de la crise du COVID-19 en Inde ?

Il est peu probable que l’Inde soit le dernier pays à connaître des épidémies catastrophiques car la pandémie de COVID-19 persiste et évolue. Les leçons de l’expérience de l’Inde sont particulièrement pertinentes pour d’autres pays en développement, comme ceux d’Afrique, qui ne bénéficieront pas du bouclier de la vaccination de masse à court terme. La leçon primordiale est que COVID-19 est un « virus de la complaisance » ; sa surveillance et sa suppression doivent être continuellement adaptées.

Figure 1. Doses de vaccin COVID-19 administrées pour 100 personnes

L’épidémie de deuxième vague indienne est considérée par l’Organisation mondiale de la santé comme étant due à l’évolution de la variante hautement transmissible B.1.617 ou delta du coronavirus, mais catalysée par une série d’événements religieux et politiques de rassemblement de masse et une réduction de la santé publique et mesures sociales.

La variante delta a été signalée pour la première fois en octobre 2020 et déclarée la quatrième « variante préoccupante » par l’OMS le 11 mai 2021. En Inde, la propagation du delta a même dominé celle de la variante alpha B.1.1.7 (d’abord identifiée dans le Kent, en Angleterre), qui lui-même s’est avéré être 40 à 50 % plus transmissible que la souche originale de COVID-19 de Wuhan. Selon les estimations actuelles, Delta pourrait être 60 % plus transmissible qu’Alpha.

Figure 2. Composition des variantes de COVID-19 en Inde

Les décideurs de la santé publique, habitués à des variantes moins agressives, semblent avoir été pris au dépourvu par la variante delta. En fait, le 21 février 2021, les autorités indiennes ont annoncé qu’elles avaient « vaincu le COVID-19 ». Une réduction ultérieure du respect des mesures de santé publique et de sécurité s’est accompagnée d’une réduction pure et simple de la rigueur des mesures de protection COVID-19 en Inde, l’indice de rigueur de verrouillage (une mesure des mesures de santé publique et sociales) diminuant en mars 2021 à son valeur la plus basse depuis le début de la pandémie. De la mi-mars à avril, une série de rassemblements de masse potentiels de super-épandeurs ont été autorisés, notamment la participation d’environ 9,1 millions de pèlerins au festival religieux de Kumbh Mela et des campagnes politiques pour les élections d’État au Bengale occidental, à Assam, au Kerala et au Tamil Nadu.

Figure 3. Mesures de santé publique et sociales en Inde juste avant la deuxième vague de COVID-19

Le résultat, comme nous le savons maintenant, a été la propagation catastrophique et mortelle d’une deuxième vague de COVID-19 en Inde et ailleurs dans le monde. Les leçons pour les pays africains sont doubles.

Leçon 1 : La surveillance des virus est essentielle pour arrêter la pandémie

Premièrement, à mesure que la pandémie de COVID-19 évolue, la surveillance des virus doit également évoluer. L’évolution de nouvelles variantes est apparue comme l’un des facteurs de risque les plus importants pour les épidémies. Le séquençage génomique permet de construire un système d’alerte précoce pour identifier l’émergence de variantes préoccupantes, ainsi que la propagation de ces variantes entre les pays. Cela permet de mieux informer l’élaboration des politiques de santé publique.

Déjà, le Royaume-Uni, un leader du séquençage génomique du COVID-19, a revu et ajusté les calendriers de réouverture sur la base d’une analyse des risques qui intègre l’émergence et la propagation de la variante delta. Les données de séquençage génomique en Afrique du Sud ont permis de déterminer un changement de stratégie de vaccination en réponse à l’émergence du variant bêta (B.1.351), qui semblait plus résistant à certains vaccins.

Malheureusement, la capacité de séquençage de l’Afrique reste extrêmement limitée avec près de la moitié des pays africains incapables de partager des données de séquençage génomique sur les variantes de COVID-19. Les pays africains ont donc un système d’alerte précoce surchargé avec peu de visibilité sur les risques émergents ou la circulation de variantes préoccupantes. L’OMS encourage désormais les pays à « renforcer les capacités de surveillance et de séquençage et à appliquer une approche systématique pour fournir une indication représentative de l’étendue de la transmission de [COVID-19] variantes en fonction du contexte local et pour détecter des événements inhabituels.

Les pays africains ont connu un succès considérable dans les approches régionales de lutte contre le COVID-19, notamment la plate-forme panafricaine de fournitures médicales, les protocoles harmonisés de « commerce sûr » et le travail des Centres africains de contrôle et de prévention des maladies. Une approche régionale de la surveillance des variantes par le biais de centres de séquençage régionaux est désormais nécessaire pour mettre en commun les ressources et les capacités techniques. Les partenaires de développement peuvent aider à renforcer cette capacité régionale par le biais d’initiatives telles que la New Variant Assessment Platform du Royaume-Uni.

Figure 4. Part des cas de COVID-19 séquencés et partagés via GISAID, 90 derniers jours

Leçon 2 : Éviter la complaisance

La deuxième leçon pour l’Afrique est simplement d’éviter la complaisance. La plupart des pays africains semblent avoir, jusqu’à présent, été épargnés par la profondeur des crises vécues dans d’autres régions dans la lutte contre le COVID-19. Comme le montre le cas indien, les situations peuvent se détériorer rapidement. Dans de nombreux pays africains pour lesquels des données de séquençage sont disponibles, la variante delta est en augmentation. Les décideurs politiques doivent rester au fait de l’évolution des connaissances et des préparatifs contre le COVID-19.

Cela peut impliquer de tirer des leçons des épidémies ailleurs et d’adapter les goulots d’étranglement de capacité en conséquence, comme cela a été le cas au Kenya, où des machines de concentration d’oxygène ont été importées à l’hôpital métropolitain de Nairobi à la suite de l’expérience des pénuries d’oxygène liées au COVID-19 en Inde.

Figure 5. Composition des variantes de COVID-19 au fil du temps : deux principales variantes, données les plus récentes

Les preuves suggèrent que, dans l’ensemble, les pays africains continuent de faire face à la crise du COVID-19 avec vigilance et prudence. La rigueur des mesures de verrouillage imposées par les pays africains est restée à peu près constante depuis novembre 2020, malgré certaines particularités des pays. Ce n’est peut-être pas particulièrement surprenant ; jusqu’à ce que la vaccination de masse soit étendue aux pays en développement, y compris ceux d’Afrique, ils n’ont guère d’autre choix que des mesures de verrouillage invasives pour supprimer le COVID-19 et, indirectement, leurs économies.

Malheureusement, la vaccination de masse reste lointaine à l’horizon africain. Son accélération continue d’être le prix ultime pour les décideurs africains et leurs partenaires de développement. Jusque-là, cependant, suivre attentivement les leçons de l’Inde et d’autres pays continuera d’aider les pays africains à gérer leurs réponses COVID-19 et à prendre des décisions de santé publique et économiques en toute connaissance de cause.

Figure 6. Rigueur des confinements en Afrique au fil du temps, échelle de 1 à 100 (blanc à rouge), janvier 2020 à juin 2021

Figure 6. Rigueur des confinements en Afrique au fil du temps, échelle de 1 à 100 (blanc à rouge), janvier 2020 à juin 2021

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