L’impact incertain de la pandémie sur la productivité

La pandémie a certainement affecté durablement notre façon de travailler. Reste à voir si c’est pour le mieux.

Par:
Marie Demertzis

Date: 28 septembre 2021
Sujet: Macroéconomie européenne et gouvernance

Une version en grec de cet article a été publiée dans la section Money Review de Kathimerini et une version espagnole est à paraître dans El Economista.

Le soutien apporté aux entreprises pour protéger l’activité économique et l’emploi pendant la pandémie est sans précédent dans la plupart des pays de l’Union européenne. Cela a contribué à maintenir l’emploi aux niveaux d’avant la pandémie, comme l’indique la ligne bleue de la figure 1.

Mais même si les emplois auraient pu être protégés, la pandémie a sans aucun doute affecté la façon dont le travail est effectué. De nombreux travailleurs sont passés au télétravail et les entreprises ont dû s’adapter pour continuer à commercer. Le graphique montre également que pour ceux qui ont des niveaux d’éducation plus élevés, la pandémie a même créé de plus grandes opportunités, avec une augmentation de leur taux d’emploi. Mais cela ne signifie pas nécessairement que l’économie de l’UE sera globalement plus productive à l’avenir. Les nouvelles preuves de l’impact sur la productivité restent peu concluantes.

Il y a quelques raisons d’être optimiste. Contraintes à un arrêt soudain et prolongé de l’économie, environ les trois quarts des entreprises affirment que la pandémie les a aidées à devenir plus efficaces et innovantes. Neuf entreprises sur dix ont accéléré l’adoption du numérique et de l’automatisation et ont donc accru leur agilité globale. Couplé à un soutien macroéconomique massif, cela a le potentiel de stimuler la productivité. Une enquête a révélé que cela pourrait entraîner une croissance de la productivité supplémentaire d’environ un point de pourcentage au cours des prochaines années par rapport aux attentes précédentes.

La perspective du télétravail a également le potentiel d’augmenter la productivité en permettant plus de flexibilité. Beaucoup voient les avantages d’une plus grande flexibilité globale, d’un temps de trajet réduit et d’une connectivité accrue. Dans certaines professions, le potentiel du télétravail est énorme.

Cependant, il y a aussi des pièges. Tous les emplois ne sont pas adaptés au télétravail ou à un travail plus flexible. Cela est vrai au niveau individuel, où l’on doit prendre en considération les tâches, le rôle et les préférences personnelles d’un employé. Mais c’est aussi vrai au niveau collectif, s’il y a une forte interdépendance des tâches. Dans des environnements de travail plus hybrides, de nombreuses questions devront être repensées, notamment comment coordonner au mieux les tâches, gérer les équipes et offrir des opportunités de carrière égales pour tous. Il reste à voir si cela conduira à des augmentations globales de la productivité.

D’autres indicateurs suggèrent que les attentes concernant l’effet de la pandémie sur la productivité globale devraient être plus pessimistes, notamment en raison des coûts auxquels les entreprises ont dû faire face au début de la pandémie. Malgré le soutien apporté, de nombreuses entreprises sortiront de la crise avec des dettes plus importantes. Des preuves provenant du Royaume-Uni montrent que ces coûts à court terme pourraient entraîner une réduction de la productivité de 1 % pour les années à venir, par rapport aux estimations d’avant la pandémie.

De plus, il y a clairement eu des gagnants et des perdants de la pandémie. Le numérique et la pharmacie, par exemple, ont vu leurs activités exploser. En revanche, l’hôtellerie, le tourisme mais aussi l’énergie sont à l’arrêt partiel ou total. De plus, les gagnants de la pandémie, comme l’informatique et les services numériques, sont aussi ceux à fort pouvoir de concentration. À moins d’être contrecarré, ce pouvoir irait à l’encontre de l’innovation et de la productivité à l’avenir. De même, les ménages situés aux extrémités opposées de la répartition des revenus ont traversé la pandémie de manière très différente, ce qui peut entraîner des effets cicatriciels.

Ensuite, il y a la question de savoir comment le commerce mondial intégré restera. La pandémie a fourni une certaine justification à l’idée de rapatrier certaines parties de la production, réduisant ainsi la longueur des chaînes de valeur mondiales. Parfois, les forces du protectionnisme sont derrière cela, mais cela peut aussi être la volonté d’augmenter la résilience. Quoi qu’il en soit, ce processus entraînera une augmentation des coûts globaux et réduira la compétitivité.

Enfin, il existe un certain nombre d’implications sociétales qui exerceront une pression sur la productivité du travail. Les fermetures d’écoles et d’universités ont entraîné une perte d’éducation, en particulier pour les plus vulnérables de la société. Une étude de l’OCDE de septembre 2020 a suggéré que les élèves touchés par les fermetures d’écoles pendant la pandémie pourraient gagner jusqu’à 3 % de moins au cours de leur vie, à moins que des mesures ne soient mises en place pour rattraper leur retard. Cela se traduit par une croissance à long terme inférieure de 1,5% en moyenne dans les pays où ces fermetures ont été les plus marquées. Ces chiffres sont pires pour certains segments de la société, comme les moins instruits.

La pandémie a certainement affecté durablement notre façon de travailler. Reste à voir si c’est pour le mieux.


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