Pourquoi Macron embrasse l’Europe de l’Est

Le 31 mai 2023, le président français Emmanuel Macron a prononcé un discours à GLOBSEC, une conférence sur la sécurité organisée par un groupe de réflexion dans la capitale slovaque Bratislava, où il a officialisé son ouverture tant attendue à l’Est de l’Europe. Macron était autrefois un partisan du rapprochement entre l’Europe et la Russie, au grand désarroi des Européens du Centre et de l’Est, pour qui la garantie de sécurité de l’article 5 de l’OTAN est existentielle. Le discours de GLOBSEC transmet un sentiment d’unité, défend une communauté d’objectifs pour l’avenir de l’Union européenne et de la sécurité européenne, et des expiations pour sa négligence et celle de ses prédécesseurs envers l’Europe de l’Est. En 2003, le président français Jacques Chirac a choqué ses partenaires orientaux en déclarant qu’ils avaient « perdu une occasion de se taire », en référence à leur soutien à l’intervention américaine en Irak. Macron dit maintenant que l’Europe de l’Ouest a perdu une occasion en n’écoutant pas les inquiétudes relayées par les Européens de l’Est. Et, dans ce geste symbolique, il cherche également à combler les divergences au sein de l’UE sur la voie à suivre pour l’intégration future.

Le chancelier allemand Olaf Scholz avait reconnu le déplacement du centre de gravité de l’Europe vers l’Est dans son discours de Prague en août 2022 sans équivoque : « Le centre de l’Europe se déplace vers l’Est ». Si Paris ne l’affirme pas aussi ouvertement, un basculement est en fait en train de s’opérer. L’Ukraine et la Moldavie ont obtenu le statut de candidat à l’adhésion à l’UE par le Conseil européen en juin 2022, suivi de l’accueil par les Tchèques de la première réunion de la Communauté politique européenne (CPE) à Prague en octobre 2022.

La CPE a été annoncée par Macron dans un discours du 9 mai 2022 comme un moyen d’avancer simultanément sur l’élargissement et l’approfondissement de l’Union. Les Français sont connus pour être des partisans très réticents de l’élargissement de l’UE, favorisant un approfondissement et une réforme de l’Union avant de l’ouvrir aux autres. C’était un point de discorde majeur entre la France et l’Allemagne ainsi qu’entre les Français et les Européens de l’Est, jusqu’à récemment. L’EPC est censé être une plate-forme pour s’attaquer à un large éventail de problèmes de sécurité, de la sécurité traditionnelle à l’infrastructure critique et à la connectivité énergétique. De nombreux Européens de l’Est avaient initialement interprété cette proposition comme une manœuvre française pour empêcher l’élargissement de l’UE, et (pire encore), pour contourner l’OTAN.

Néanmoins, 44 pays ont participé à la réunion d’octobre 2022 à Prague, sans aucun doute motivés pour surmonter leurs appréhensions et leurs différences par leur horreur commune de l’agression à grande échelle du président russe Vladimir Poutine en Ukraine. Les pays ont décidé de se réunir tous les six mois, l’hôte tournant entre les États non membres de l’UE et les États membres de l’UE. La Moldavie a accueilli le deuxième sommet le 1er juin 2023. Quarante-neuf dirigeants européens se sont réunis à Bulboaca, en Moldavie, pour cette deuxième édition de la CPE, et le président ukrainien Volodymyr Zelenskyy s’y est également joint – preuve que l’existence même de la plateforme renforce l’Europe dans son ensemble . Étant donné que la Moldavie est très vulnérable à la déstabilisation politique russe et à l’agression potentielle, la démonstration de solidarité stratégique affichée à Bulboaca était cruciale pour sa sécurité. Elle contribue également à la culture stratégique commune que Macron souhaite faire partager aux Européens.

Le discours de Macron à Bratislava la semaine dernière avait plusieurs objectifs. Premièrement, il s’agissait d’une expiation tacite pour ses précédentes ouvertures vers la Russie. Il a invité Poutine en France en 2019 dans le but de relancer un dialogue sur l’architecture de sécurité européenne – sans préavis auxdits Européens – et depuis le début de la guerre en Ukraine, il a mentionné que la Russie devait également bénéficier de garanties de sécurité et qu’elle ne devrait pas être humilié. Deuxièmement, le discours visait à reconnaître comment les contributions des pays d’Europe centrale et orientale ont aidé l’UE à devenir un acteur géopolitique plus fort. Macron a déclaré que leurs voix « doivent être la voix de nous tous ». Il a également fait référence aux commentaires infâmes de Chirac avec une phrase qui a fait les gros titres en Europe : « Certains vous ont dit alors que vous manquiez des occasions de vous taire – mais je crois que nous avons parfois manqué des occasions d’écouter. »

Enfin, le président a tenu à rassurer ses auditeurs sur le fait que la France ne cherche pas à construire une Union européenne qui exclut les nouveaux aspirants de l’Europe de l’Est ou écarte l’alliance transatlantique : « La Communauté politique européenne n’est ni un concurrent de l’OTAN ni un substitut à l’élargissement, mais c’est un cadre de réflexion stratégique dont tous les pays ont besoin pour construire, je l’espère, une architecture institutionnelle nouvelle et innovante. En référence à son commentaire désormais tristement célèbre de 2019 selon lequel l’OTAN connaissait la « mort cérébrale », il a ajouté que Poutine « s’était réveillé [NATO] avec le pire des électrochocs. Soulignant le rôle crucial que jouent les États-Unis dans la sécurité européenne, il a ajouté que l’Europe devait se doter de meilleures capacités, précisément pour être un meilleur partenaire des États-Unis. L’« autonomie stratégique » (un terme phare dans le nord et l’est de l’Europe) n’a été mentionnée que deux fois, comme synonyme de « souveraineté militaire » dans le cadre de l’OTAN et comme élément constitutif d’une industrie de défense européenne dont nous avons tant besoin. base.

Le discours a également abordé des questions cruciales concernant la façon dont les destins de l’UE et de l’Ukraine sont liés : la nécessité de continuer à soutenir l’Ukraine au milieu d’une série d’élections importantes et d’un populisme croissant ; comment se préparer à un règlement d’après-guerre qui ne mette pas en danger l’Ukraine ou la sécurité de l’Europe en encourageant l’impérialisme russe.

Macron étant Macron, il ne craint pas les objectifs ambitieux. Il veut que l’Europe soit à la table de la discussion sur le contrôle des armements. Il a également confirmé que la conférence sur la défense aérienne, qu’il avait annoncée lors de la conférence de Munich sur la sécurité en février 2023, aurait lieu le 19 juin 2023 à Paris, et il a invité tous les pays participants à l’EPC à y assister. On peut espérer que la méthode Macron en politique étrangère prend une tournure plus inclusive et que l’ouverture de Macron à l’Europe de l’Est est désormais sur les rails.

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