Une banque centrale européenne brune ou verte?

Le portefeuille de la Banque centrale européenne est biaisé vers l’économie brune, reflétant un biais sur le marché. La banque peut-elle et doit-elle s’écarter de l’allocation de marché?

Le changement climatique est une question vivement débattue dans le cadre de la révision de la stratégie en cours de la Banque centrale européenne. Alors que la présidente de la BCE, Christine Lagarde, et ses collègues du centre privilégient des outils robustes pour lutter contre le changement climatique, la plupart des gouverneurs des banques centrales nationales (comme leurs collègues de la Fed américaine) semblent être contre l’inclusion des considérations climatiques dans la politique monétaire. La question centrale est la suivante: la BCE devrait-elle continuer à accueillir les obligations et les prêts bancaires des entreprises à forte intensité de carbone en tant qu’actifs ou garanties, ou devrait-elle les réduire?

Les faits

Dans son programme d’assouplissement quantitatif, la BCE achète des obligations d’entreprises proportionnellement à leur disponibilité sur le marché. Les entreprises à forte intensité de carbone, telles que les sociétés pétrolières et gazières et les constructeurs automobiles, sont généralement également à forte intensité de capital et émettent donc davantage d’obligations d’entreprise. En prenant des actifs proportionnels au marché, le portefeuille d’actifs de la BCE est biaisé vers les entreprises à haute teneur en carbone par rapport aux entreprises à faible émission de carbone. L’intensité carbone (définie comme les émissions de carbone divisées par les ventes) du portefeuille d’obligations d’entreprises de la BCE est 57% plus élevée que l’intensité carbone moyenne des entreprises de l’UE. Ce biais carbone important fait de la BCE une banque centrale brune.

En acceptant les obligations d’entreprises à haute teneur en carbone, la BCE améliore la liquidité de ces obligations (tout comme elle améliore la liquidité des obligations d’entreprises à faible émission de carbone), abaissant ainsi le coût du capital pour les entreprises à forte et à faible émission de carbone.

Mandat

La BCE pourrait-elle remédier à son biais carbone? Il existe en gros trois itinéraires. Premièrement, le principal mandat de la BCE est la stabilité des prix. Si la BCE établit que le changement climatique a un impact sur l’inflation future (par exemple à travers la hausse des prix des denrées alimentaires due aux sécheresses), elle doit être vigilante et préparer une réponse monétaire appropriée pour atténuer les pressions inflationnistes potentielles. Bien que l’impact du changement climatique sur l’inflation semble faible, il fait déjà partie des travaux de politique monétaire de la BCE pour le surveiller. De plus, une meilleure modélisation de l’impact du risque climatique sur la politique monétaire ne résout pas le biais carbone dans les opérations de politique monétaire de la BCE.

Deuxièmement, le mandat juridique de la BCE stipule qu’elle « Soutiendra les politiques générales de l’UE, sans préjudice de la stabilité des prix ». Cela fait référence aux objectifs secondaires de la BCE. La transition vers une économie à faibles émissions de carbone est une pierre angulaire des politiques économiques générales de l’UE. Le Green Deal européen a pour objectif de réduire les émissions de carbone d’au moins 55% d’ici 2030.

La BCE peut soutenir la politique climatique de l’UE en réduisant les émissions de carbone de son portefeuille d’actifs et de garanties à des fins de politique monétaire. Ce deuxième argument est le plus convaincant, en particulier si le Parlement européen et le Conseil ont déclaré que la politique climatique de l’UE était prioritaire dans ses politiques économiques générales au cours des dix prochaines années.

Troisièmement, la BCE pourrait inclure une évaluation du risque climatique dans ses opérations de politique monétaire. Les entreprises à forte teneur en carbone sont plus exposées à la hausse des taxes sur le carbone, ce qui augmente le risque de dépréciation pour ces entreprises. La décote sur les garanties des entreprises à forte teneur en carbone peut alors être augmentée. Là encore, l’évaluation des risques est déjà incluse dans le cadre des garanties de la BCE. De plus, le risque climatique est un enjeu majeur pour les missions de surveillance et de stabilité financière de la BCE. Un test de résistance climatique du secteur bancaire néerlandais, par exemple, a indiqué que les pertes pourraient représenter 4 à 63% du capital de base pour une taxe carbone de 100 à 200 euros par tonne.

En résumé, le débat sur le changement climatique dans la politique monétaire porte d’abord et avant tout sur l’allocation par la BCE des réserves monétaires aux entreprises à forte émission de carbone. La question est alors de savoir quelle approche pourrait réduire cette allocation?

Inclinaison

Il existe plusieurs moyens de réduire la surallocation aux entreprises à forte intensité de carbone. Celles-ci vont de l’exclusion des entreprises les plus intensives en carbone ou du traitement exclusif des entreprises à faible émission de carbone à l’inclinaison du portefeuille vers une faible émission de carbone. Nous avons développé une méthodologie pour orienter l’actif et la base de garantie des opérations de politique monétaire vers des actifs à faible émission de carbone. Pour les actifs, l’inclinaison relierait la part relative des titres d’une entreprise inversement à son intensité carbone. La BCE surpondérerait alors les entreprises à faible émission de carbone et sous-pondérerait les entreprises à forte teneur en carbone dans son portefeuille d’actifs. Pour les garanties, une décote supplémentaire pourrait être directement liée à l’intensité carbone. La BCE appliquerait alors une décote supplémentaire aux actifs à haute teneur en carbone dans son cadre de garanties.

Une approche d’inclinaison moyenne peut réduire les émissions de carbone dans le portefeuille d’obligations d’entreprises et de banques de la banque centrale de plus de 50%, compensant ainsi le biais carbone actuel. Notre article montre comment cela peut être fait sans interférer indûment dans la bonne conduite de la politique monétaire. Un élément clé d’une approche de basculement serait que la BCE reste présente sur l’ensemble du marché des actifs éligibles, ce qui garantit que la politique monétaire « Toutes les fissures » de l’économie. L’inclinaison n’augmente que la part des actifs bas carbone au détriment des actifs à haute teneur en carbone, mais n’exclut pas les actifs à haute teneur en carbone.

Ainsi, une première étape de basculement ferait de la BCE d’une banque centrale brune une banque centrale neutre en carbone. Une étape de suivi pourrait faire de la BCE une banque centrale verte, alignée sur les objectifs de réduction des émissions de l’UE.

Final

Si la BCE devait relever le défi de l’écologisation de ses opérations de politique monétaire comme objectif secondaire, il serait de la plus haute importance de le faire en toute indépendance. La BCE pourrait ajuster les critères d’éligibilité des actifs et des garanties de manière générale, en utilisant un indicateur transparent et objectif, tel que les émissions de carbone. La BCE devrait s’abstenir de favoriser des projets spécifiques ou de fixer des objectifs sectoriels, qui relèvent de la politique gouvernementale.

Citation recommandée:

Schoenmaker, D. (2021) «  Une banque centrale européenne brune ou verte?  », Blog Bruegel, 24 février


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