Les pays en développement libéralisent leur commerce depuis la fin des années 80. La création de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en 1995 et la prolifération subséquente des accords de libre-échange (ALE) ont renforcé cette tendance. En conséquence, les taux tarifaires appliqués ont baissé de 66 % depuis 1996. Cependant, cette libéralisation tarifaire ne s’est pas toujours traduite par une protection commerciale moindre dans les pays en développement. L’une des principales raisons en est que la baisse des droits de douane s’est généralement accompagnée d’une augmentation des mesures non tarifaires (MNT), telles que des politiques et des réglementations qui limitent les importations.
Une telle substitution de politique commerciale peut être relativement inoffensive car, contrairement aux tarifs, les MNT n’ont généralement pas une intention discriminatoire ou protectionniste. Ils sont généralement imposés pour promouvoir des objectifs non commerciaux, tels que la garantie de normes environnementales, sanitaires et sécuritaires. Cependant, dans la pratique, les MNT peuvent influencer à la fois les coûts commerciaux et l’accès au marché. La mise en œuvre des MNT peut être complexe et fastidieuse. Le coût du respect de ces réglementations est généralement plus élevé pour certains produits, secteurs et entreprises. De nombreuses entreprises des pays en développement n’ont pas la capacité et les ressources nécessaires pour se conformer aux spécifications et normes techniques requises. La recherche montre que les MNT contribuent à la restriction globale des échanges. En effet, leur impact restrictif sur les échanges est supérieur à celui des droits de douane.
Des considérations techniques ou des facteurs politico-économiques plus larges sont-ils à l’œuvre ?
Bien qu’il existe des travaux de fond sur le rôle des groupes d’entreprises politiquement influents dans l’élaboration des politiques tarifaires, nous avons une connaissance limitée des déterminants institutionnels et politiques des MNT. Des données récentes montrent comment des mesures non tarifaires exceptionnelles, telles que des mesures antidumping et de sauvegarde, ont été utilisées à la suite de l’accord de l’Inde avec le FMI en 1991 pour remplacer la baisse des tarifs dans les secteurs politiquement organisés. Cette logique s’applique-t-elle même aux MNT non exceptionnelles, telles que les barrières techniques au commerce ?
Dans des travaux récents, nous examinons l’économie politique d’un épisode commercial important au Maroc. En 1996, le Maroc a signé un accord d’association avec l’Union européenne (UE), qui a conduit à une réduction spectaculaire des barrières tarifaires. Poussé en grande partie par des objectifs géopolitiques, l’accord faisait partie du processus de Barcelone de l’UE qui tentait de lier « la sécurité et la stabilité en Méditerranée » à la coopération commerciale. Axé singulièrement sur la réduction tarifaire, l’accord a déclenché une réduction tarifaire générale qui a été suivie d’une augmentation substantielle des MNT. Étant donné que l’UE est le plus grand partenaire commercial du Maroc, la réduction tarifaire imposée par l’UE a représenté un choc de politique commerciale majeur.
Les secteurs ayant déjà été exposés à des entreprises politiquement liées étaient-ils plus susceptibles de recevoir une protection compensatoire sous la forme de MNT ? Notre article examine plus de 1 500 entreprises manufacturières et constate que les entreprises précédemment liées politiquement ont bénéficié d’une protection non tarifaire nettement plus élevée après l’accord (voir la figure 1). En moyenne, le taux de couverture des MNT était de 9 à 11 points de pourcentage plus haute dans les secteurs politiquement connectés par rapport aux secteurs non connectés où ce ratio était de 24 pour cent. En désagrégeant l’analyse par type de MNT, nous constatons que nos résultats sont principalement motivés par les obstacles techniques au commerce (OTC) dont l’application nécessite une plus grande surveillance administrative et est susceptible d’abus politique. Nous avons également examiné si la protection commerciale compensatoire sous le couvert de MNT favorisait particulièrement les secteurs dotés d’entreprises appartenant à la famille royale. En différenciant différents types de relations politiques, nous montrons que l’effet du copinage sur la substitution de la politique commerciale est principalement induit par les entreprises détenues par des politiciens, des conseillers royaux et des confidents plutôt que par des entreprises royales.
Cela s’explique par deux facteurs. Premièrement, la monarchie a une présence comparativement plus forte dans le secteur des services (par exemple, l’immobilier, la banque et la finance) alors que les entreprises non royales sont principalement actives dans le secteur manufacturier. Deuxièmement, même si les secteurs comptant des entreprises royales ont connu une augmentation comparativement plus faible des MNT après l’accord de l’UE, son impact protectionniste était substantiel. Pour établir cela, nous analysons les équivalents ad valorem (EAV) des MNT qui mesurent les « coûts supplémentaires » que la présence des MNT impose aux importations. Les EAV sont généralement utilisés pour exprimer l’impact commercial qu’aurait une MNT qui s’apparente à un tarif uniforme. Notre analyse suggère que les EAV médians en 2009 étaient de 65 % dans les secteurs royaux contre 49 % dans les secteurs non royaux.
En outre, alors que les EAV ont enregistré une augmentation générale au cours de la période 1997-2009, l’augmentation a été sensiblement plus élevée dans les secteurs politiquement liés. Le pourcentage d’augmentation des EAV médians dans les secteurs de copinage était proche de 300 % contre seulement 100 % dans les secteurs non connectés. Dans l’ensemble, la vague de MNT qui a accompagné les réductions tarifaires imposées par l’UE a non seulement compensé la baisse des tarifs, mais a en fait entraîné une augmenter dans la protection commerciale globale dans les secteurs connexes. La restriction commerciale totale des secteurs connectés, définie comme la somme des droits de douane et des EAV, est passée de 54 % en 1997 à 58 % en 2008. Si les EAV des MNT dans les secteurs connectés avaient augmenté au même rythme que ceux des secteurs non connectés, le commerce médian la restriction serait en fait tombée à 33 pour cent à la place.
Nos travaux éclairent également l’économie politique de la politique commerciale dans les États autocratiques. Les recherches antérieures se sont principalement concentrées sur les contextes démocratiques où la protection commerciale est généralement échangée contre des contributions de lobbying par des groupes d’intérêts spéciaux. Les politologues soulignent que les dirigeants autoritaires sont confrontés à un défi permanent de survie face aux menaces, y compris celles résultant de dans la coalition d’élite au pouvoir. Face à de telles menaces, les dirigeants ont souvent besoin d’acheter le soutien des élites en accordant des privilèges et en partageant les loyers. Dans ce milieu, la politique commerciale peut être utilisée pour générer des rentes qui peuvent être répercutées de manière sélective et stratégique sur des groupes politiques puissants en échange de leur soutien.