La procrastination et non le démantèlement menace désormais le Green Deal européen

La procrastination et non le démantèlement menace désormais le Green Deal européen

À l'approche des élections européennes du 6 au 9 juin, de nombreuses spéculations ont été faites sur l'avenir du Green Deal européen, le plan global de l'Union européenne visant à atteindre zéro émission nette d'ici 2050. On craignait qu'il ne soit démantelé dans un scénario de montée en puissance des partis d’extrême droite. Mais cet élan ne s'est pas produit : le centre pro-européen a conservé la majorité des sièges au Parlement européen, ce qui indique que l'Europe ne va pas changer de cap sur la transition verte.

Cependant, les virages à droite en Allemagne et en France, ainsi que la décision du président Macron, en réponse, de convoquer des élections législatives anticipées, suggèrent un malaise parmi les électeurs quant à la politique climatique qui doit être prise au sérieux. Deux risques majeurs pour le Green Deal européen peuvent être identifiés.

Le premier est la procrastination au sein du nouveau Parlement européen. Face à la pression croissante de la droite, le Parti populaire européen (PPE), de centre-droit, pourrait être tenté de faire pression pour des reports ou pour édulcorer certaines des dispositions les plus controversées du Green Deal. Cela pourrait se faire en profitant des clauses de révision des lois du Green Deal, comme par exemple avec l’interdiction de la vente de voitures neuves à moteur à combustion interne à partir de 2035.

Cette tentation doit être évitée. La réouverture des dossiers convenue après des années de négociations perturberait la confiance dans la trajectoire verte de l'Europe, nuirait à l'industrie européenne et entraînerait le report des investissements verts. Cela augmenterait les coûts pour ceux qui se sont déjà lancés dans la transition, en investissant dans les technologies propres, des processus industriels économes en énergie aux voitures électriques, les laissant ainsi se sentir trahis. En d’autres termes, un cadre politique climatique crédible est essentiel pour soutenir les investissements verts du secteur privé dans les années à venir.

Le deuxième risque est l’inaction des gouvernements nationaux. Alors que le Green Deal entre dans sa phase de mise en œuvre après cinq années de conception politique et d’élaboration de lois, c’est ce qui fera réellement avancer ou défaire les ambitions vertes de l’Europe que de faire avancer les choses au niveau national. Au cours des cinq prochaines années, la décarbonisation devra s’accélérer fortement si l’UE veut atteindre ses objectifs climatiques. Il faut faire davantage au niveau national pour décarboner des secteurs tels que le bâtiment et les transports, par lesquels la politique climatique entre dans la vie quotidienne des citoyens. L’Allemagne, la France, l’Italie et d’autres grands pays devraient faire le gros du travail, mais que se passera-t-il si leurs gouvernements ne tiennent pas leurs promesses ? La réalité est que l’UE dispose d’outils limités pour pousser les gouvernements à agir.

Pour parer à ce risque crucial, une stratégie européenne d’investissement vert devrait être lancée de toute urgence. Cela pourrait impliquer différentes mesures, notamment une meilleure utilisation du budget de l’UE, une plus grande puissance de feu à la Banque européenne d’investissement pour financer la transition verte et la création d’un nouveau Fonds vert de l’UE qui serait financé par une nouvelle dette commune de l’UE. Cette dernière serait pleinement justifiée car il s’agirait d’un financement ponctuel d’une transition extraordinaire, temporaire et bénéfique pour les générations futures.

La transformation radicale du Green Deal soulève des questions difficiles quant à savoir qui paiera. Si ces coûts finissent par peser de manière disproportionnée sur les travailleurs ordinaires – sans parler des communautés les plus pauvres et les plus vulnérables – la transformation aggravera les inégalités et deviendra socialement et politiquement non viable. Ce n'est pas une option.

Heureusement, des politiques climatiques bien conçues peuvent empêcher ce résultat et conduire à une plus grande égalité sociale. Le Green Deal englobe déjà le Fonds pour une transition juste et le nouveau Fonds social pour le climat et constitue donc une excellente base pour un nouveau contrat social vert. L’UE devrait désormais rationaliser et simplifier les instruments de financement afin d’apporter un soutien encore plus décisif aux plus vulnérables, ainsi qu’à la classe moyenne, qui a besoin d’aide pour adopter des alternatives vertes, des véhicules électriques aux systèmes de chauffage domestique écologiques.

L’UE doit également transformer la décarbonation en une véritable opportunité économique en développant une solide politique industrielle verte. Cela nécessitera avant tout de revitaliser le programme « ennuyeux » du marché unique afin de tirer parti de l’immense marché partagé de l’UE pour les biens, les services financiers, l’énergie, les travailleurs et les idées afin d’encourager de nouveaux investissements dans les technologies propres. Des interventions dans des technologies spécifiques seront également nécessaires.

Pour cela, plutôt que d’imiter les subventions de la loi américaine sur la réduction de l’inflation, l’UE devrait apporter un soutien ciblé dans les domaines où elle dispose déjà d’un solide avantage comparatif. Même si certaines industries historiques pourraient avoir besoin d’un soutien dans leur démarche de décarbonisation, le soutien à l’innovation de rupture devrait être l’objectif principal. L’industrialisation verte n’a pas été au cœur de la première phase du Green Deal. Il faut désormais le mettre au premier plan.

Les élections européennes doivent donc marquer un nouveau départ pour le Green Deal, plutôt que son démontage. La décarbonation est la seule voie pour l’Europe vers la résilience et la compétitivité. Le nouveau Parlement européen a la responsabilité de continuer à avancer et doit éviter les détournements inutiles.

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