Le Canada est le premier pays à publier des statistiques infra-annuelles sur la répartition des revenus. Voici comment cela a été fait.

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Statistique Canada, l’organisme qui chapeaute les statistiques nationales au Canada, est le premier organisme statistique au monde à publier des données infra-annuelles sur la répartition de la croissance économique entre les ménages riches et pauvres. En janvier de cette année, il a publié un ensemble de données trimestrielles de ces statistiques de distribution pour le premier trimestre de 2020 jusqu’au troisième trimestre de 2021 appelé les distributions des comptes économiques des ménages, ou DHEA. Puis, en avril, il a publié de nouvelles statistiques pour le quatrième trimestre de 2021. Statistique Canada prévoit de continuer à publier ces instantanés trimestriels avec un décalage d’un trimestre.

La production de ces statistiques à une fréquence trimestrielle avec relativement peu de décalage est un moment décisif pour l’effort mondial visant à produire des statistiques plus complètes et utiles sur l’inégalité des revenus. Pendant des décennies, les rapports sur l’inégalité des revenus ont été dominés par la production de «coefficients de Gini» opaques, difficiles à comprendre pour les non-spécialistes et souvent construits à l’aide de mesures incomplètes du revenu.

Ce nouveau millésime de statistiques sur les inégalités sera plus facile à interpréter pour les non-spécialistes, tout en offrant des mesures plus complètes du revenu. Ces données s’appuient sur les travaux pionniers de Joseph Stiglitz à l’Université de Columbia, d’Amartya Sen à l’Université de Harvard et de Jean-Paul Fitoussi à l’Institut d’Études Politiques de Paris, un groupe d’experts de l’Organisation de coopération économique de 38 pays membres. fonctionnement et développement sur les comptes nationaux distributionnels – dans leur «Rapport de la Commission sur la mesure de la performance économique et du progrès social», ainsi que les nombreux économistes qui ont participé au projet WID.world pour créer des mesures comparables de l’inégalité pour un grand nombre de pays.

La version américaine de ces statistiques, qui ne propose pas actuellement d’estimations infra-annuelles et est publiée avec un décalage de 2 ans, fournit des réponses simples à des questions telles que « Quelle part du revenu est gagnée par les Américains à revenu intermédiaire ? » ou « Quel pourcentage de la croissance annuelle revient aux 10 % des ménages les plus riches ? » Le graphique ci-dessous montre comment la croissance économique globale a été divisée chaque année entre la moitié des ménages américains aux revenus les plus faibles, les 40 % supérieurs aux revenus et les 10 % des ménages les plus riches. (Voir Figure 1.)

Figure 1

Croissance réelle du revenu personnel disponible de 2000 à 2019, divisée par catégorie de revenu

Un certain nombre d’autres pays commencent également à produire ces statistiques, principalement à titre expérimental. Réduire le retard dans la production de ces statistiques et augmenter la fréquence de leur publication est la prochaine frontière des statistiques sur les inégalités. L’exemple de Statistique Canada pourrait fournir un modèle pour produire des statistiques sur les inégalités qui fournissent des conseils à jour sur lesquels le public, les entreprises et les gouvernements peuvent agir.

Dans cette chronique, je décris comment Statistique Canada a produit ces données et détaille certaines mises en garde restantes. Notamment, Statistique Canada produit également des statistiques de distribution pour la consommation et la richesse, mais je me concentre ici uniquement sur le revenu.

Aperçu des ensembles de données et des méthodes utilisées pour créer la DHEA du Canada

L’un des principaux avantages de Statistique Canada par rapport aux organismes statistiques américains est qu’ils commencent par leur base de données de simulation de politique sociale. Le BDPS est un ensemble de données synthétiques de haute qualité basé sur un mélange de données d’enquête et administratives que Statistique Canada a conservé sous une forme ou une autre depuis 1990. Il est principalement basé sur quatre sources de données :

Ces sources de données sont mélangées et des techniques d’évitement de divulgation sont appliquées pour assurer la confidentialité.

Le PSDD est accessible au public et est livré avec un programme de simulation qui peut être utilisé pour examiner les impacts de diverses options politiques sur les ménages canadiens. Les analystes peuvent simuler différents types de changements fiscaux, par exemple, ou des changements dans les niveaux de dépenses sociales à l’aide du programme de simulation.

Cette base de données est assez différente de celle à laquelle le Bureau of Economic Analysis des États-Unis a accès aux États-Unis. Il n’existe actuellement aucun ensemble de données synthétiques combinant des données administratives et d’enquête qui soit largement accessible aux agences et autres chercheurs. Cela pourrait changer bientôt, car le US Census Bureau travaille actuellement sur de grands projets de fusion de données, ainsi que sur des stratégies d’évitement de divulgation qui pourraient rendre disponibles des fichiers de données synthétiques mélangées.

Le BEA ne peut pas non plus commencer avec des données administratives confidentielles, telles que les déclarations de revenus de l’IRS, car le code des impôts interdit spécifiquement ce partage. C’est une grave lacune du code fiscal américain que nos agences de statistiques économiques se voient interdire l’accès à ces données, ce qui leur permettrait de construire des produits statistiques plus innovants et ambitieux qui pourraient être informatifs pour le public. Par conséquent, le BEA commence par une partie de la Current Population Survey du Census Bureau, le supplément social et économique annuel, qui est quelque peu comparable à l’Enquête canadienne sur le revenu.

Statistique Canada suit l’exemple du groupe d’experts de l’OCDE sur les comptes nationaux de répartition, tout comme le BEA aux États-Unis. Les concepts de revenu agrégé ciblés par chaque agence sont un peu différents, mais les deux se rapprochent relativement de la définition du revenu disponible du Système de comptabilité nationale (les statistiques du BEA sont disponibles à la fois pour le revenu personnel et le revenu personnel disponible).

Étant donné que les deux méthodes sont fondées sur l’approche de l’OCDE, elles présentent certaines similitudes essentielles. Les deux utilisent une technique appelée mise à l’échelle, par exemple, pour s’assurer que le revenu agrégé dans les microdonnées correspond au revenu agrégé dans les comptes nationaux. Cette approche a été critiquée, mais des recherches supplémentaires sont nécessaires pour déterminer exactement pourquoi ces agrégats sont en désaccord et comment corriger les écarts. Pour l’instant, la mise à l’échelle est la meilleure réponse que nous ayons. Statistique Canada apporte également des ajustements aux données du BDPS pour assurer la compatibilité avec les définitions du revenu du Système de comptabilité nationale. Il s’agit notamment de dériver des estimations de loyer imputé et des ajustements pour les revenus à l’abri de l’impôt.

Méthodes utilisées dans la DHEA infra-annuelle

Statistique Canada va au-delà de tout autre pays en offrant des distributions infra-annuelles. L’agence a commencé à les produire en réponse à la demande du public et des responsables gouvernementaux de mieux comprendre les effets de la pandémie de COVID-19. Pour la plupart, les ensembles de données utilisés pour créer le SPSD ne sont disponibles qu’à une fréquence annuelle, de sorte que les statisticiens ont dû faire preuve d’un peu de créativité pour fournir des mesures infra-annuelles.

Un moyen simple de créer des distributions infra-annuelles consiste à prendre les distributions de revenus existantes dans les salaires, les revenus d’entreprise et d’autres catégories de revenus et à les appliquer simplement aux nouveaux agrégats des comptes nationaux. Cela peut être une approche inexacte. Dans cette approche, si le premier quintile des ménages par revenu gagnait 10 % du revenu salarial au cours de l’année précédente, les statisticiens supposeraient simplement que cette distribution continue de s’appliquer aux trimestres de l’année en cours, mais les économistes savent que ces distributions changent, ce n’est donc pas va généralement produire des résultats très précis.

Si les agences veulent construire des estimations infra-annuelles précises du revenu des ménages, il est alors important qu’elles essaient de redistribuer au moins certaines sources de revenu sur une base infra-annuelle. En d’autres termes, ils doivent trouver une source de données qui peut être utilisée pour faire une nouvelle estimation de la façon dont certaines sources de revenus sont réparties dans la distribution des revenus. Comme je l’ai expliqué précédemment, la grande majorité des revenus des 90 % des ménages les plus pauvres provient des salaires et des transferts gouvernementaux. Ce sont donc les catégories de revenus les plus importantes à redistribuer.

La solution de Statistique Canada est très proche de celle adoptée par le site Realtime Inequality. Realtime Inequality est un projet des économistes de l’Université de Californie à Berkeley, Thomas Blanchet, Gabriel Zucman et Emmanuel Saez, qui rapporte des mesures distributionnelles de la croissance aux États-Unis sur une cadence trimestrielle. Statistique Canada et Realtime Inequality redistribuent les transferts gouvernementaux à l’aide d’une simulation fondée sur des règles. Autrement dit, ils examinent les données connues sur les ménages, telles que le revenu, la taille et la composition du ménage, et d’autres informations pertinentes, et utilisent ces critères pour déterminer si le ménage est éligible ou non aux transferts gouvernementaux, tels que les chèques de relance émis par le gouvernement. gouvernement américain pendant la pandémie.

Pour les salaires, une autre source de données est nécessaire. Statistique Canada utilise l’Enquête mensuelle sur la population active du Canada. Cette enquête pose aux répondants un certain nombre de questions sur la situation d’emploi et les revenus d’emploi. Statistique Canada utilise les réponses à ces questions pour simuler le nombre de semaines travaillées et les salaires des particuliers chaque trimestre.

De plus, l’Enquête sur la population active pose des questions sur le revenu d’entreprise des répondants. Cela permet à Statistique Canada de redistribuer également cette catégorie de revenu. Malheureusement, aux États-Unis, il n’y a pas de sources similaires de données à haute fréquence sur le revenu des entreprises sur lesquelles puiser.

L’inégalité en temps réel distribue les salaires à l’aide du Recensement trimestriel de l’emploi et des salaires. Le QCEW ne fournit pas de données désagrégées sur les salaires d’employés particuliers, mais il rapporte l’argent total dépensé en salaires dans des cellules très désagrégées. Les travaux pionniers de Byoungchan Lee de l’Université des sciences et technologies de Hong Kong démontrent que le QCEW peut être utilisé pour représenter la répartition des revenus.

Pour les autres sources de revenu, dont les intérêts et les dividendes, Statistique Canada et Realtime Inequality utilisent des distributions anciennes et connues mappées sur les agrégats du trimestre en cours. Ces sources de revenus représentent des pourcentages relativement faibles du revenu des ménages en dehors des 10 % des ménages les plus riches, ce qui les rend moins importants en tant que contributeurs à l’inégalité.

Implications pour les méthodes de désagrégation des données économiques américaines

Une mise en garde importante s’impose. À ce jour, Statistique Canada n’a pas publié d’analyse publique de l’exactitude de sa méthode. L’estimation infra-annuelle de l’inégalité repose nécessairement sur une approche de modélisation qui peut rendre ces estimations moins précises. Les techniques dites de prévision immédiate, comme celle décrite ci-dessus, nécessitent des révisions lorsque des données annuelles plus précises sont publiées.

Jusqu’à ce que cette analyse soit publiée, une certaine prudence s’impose. Le site Web Realtime Inequality, qui utilise une approche similaire à la prévision immédiate, a montré que l’approche peut être relativement précise. Dans leur article sur les méthodes, les créateurs de Realtime Inequality montrent qu’ils ne font que rarement des erreurs dans le sens de la croissance. Autrement dit, ils constatent très rarement que le revenu d’un groupe de revenu particulier – disons, les 50% inférieurs – diminue alors qu’il augmente en fait. C’est un signe encourageant pour la méthodologie, mais une analyse plus approfondie des erreurs est nécessaire.

Statistique Canada peut avoir certains avantages qui ne sont pas offerts au Bureau of Economic Analysis des États-Unis. La Base de données de simulation de politique sociale du Canada fournit des données administratives et d’enquête mixtes à utiliser comme base pour les statistiques. Le Bureau of Economic Analysis des États-Unis n’a pas de point de départ similaire et commence à la place avec le supplément social et économique annuel à la Current Population Survey. L’équipe Realtime Inequality commence par les données fiscales de l’IRS. Il n’est pas tout à fait clair comment ces différentes sources de données affectent l’exactitude. Des travaux supplémentaires sont nécessaires pour mieux comprendre pourquoi toutes ces sources de données ne correspondent pas aux agrégats du revenu national.

Bref, des recherches considérables sont encore nécessaires. En 2021, le BEA a publié un rapport sur la faisabilité de créer des distributions trimestrielles. À l’époque, personne n’avait fait la démonstration d’un prototype fonctionnel de rapports trimestriels utilisant les répartitions actuelles des transferts gouvernementaux et des gains. Le BEA n’a pas étudié la possibilité d’utiliser les données QCEW ou un autre ensemble de données pour effectuer ces redistributions.

À la lumière de l’intérêt continu des décideurs et de la preuve de concept de Realtime Inequality et de Statistique Canada, il serait approprié que le BEA réexamine cette décision. Un ensemble de données prototype combinant les données BEA existantes avec les données QCEW fournirait l’occasion de tester l’exactitude des prévisions plus opportunes et de décider si elles répondent aux normes nécessaires de déclaration statistique nationale.

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