Trois maux de tête pour la Banque centrale européenne

Même si l’inflation dans la zone euro est plus faible qu’aux États-Unis, trois problèmes rendent beaucoup plus difficile pour la BCE de contrôler l’inflation et de préserver la stabilité financière. Une fois de plus, les limites de l’architecture de l’UEM sont visibles et devront être repensées.

Dans sa dernière prévision publiée le 16 mai, la Commission européenne table sur une inflation de 6,1% et une croissance de 2,7% dans la zone euro en 2022. Les dernières prévisions publiées par la BCE le 10 mars prévoyaient une inflation et une croissance à 5,1% et 3,7% % respectivement. Ce sont de grandes révisions pour une si courte période et elles reflètent bien sûr les implications de la guerre en Ukraine.

Les perspectives d’inflation et de croissance du PIB pour la zone euro donnent à la Banque centrale européenne trois sujets de préoccupation.

Le premier casse-tête auquel la BCE est confrontée est que, contrairement aux manuels scolaires, l’inflation et la production évoluent désormais dans des directions opposées. Cela implique un compromis, ce qui signifie que la politique de la BCE visant à maîtriser l’inflation entraînera nécessairement une nouvelle détérioration de la production. Beaucoup parlent maintenant de stagflation dans l’UE et la zone euro. Il y a du vrai là-dedans, car les pays et le bloc seront confrontés à une croissance faible et à une inflation persistante pendant un certain temps.

Cependant, il convient également de noter que le degré de stagflation, c’est-à-dire la faiblesse de la croissance d’une part et les pressions inflationnistes d’autre part, est loin de la stagflation du début des années 80. À l’époque, des pays comme la France et l’Espagne étaient confrontés à des taux d’inflation supérieurs à 10 %, voire 20 % dans le cas de l’Italie, ainsi qu’à une croissance négative. Le taux d’inflation national le plus élevé que nous prévoyons de voir dans la zone euro cette année est de 6 % et aucun pays ne connaîtra une croissance inférieure à 1 %. Il s’agit donc d’une forme beaucoup plus légère de stagflation.

Le deuxième casse-tête auquel la BCE est confrontée concerne la dispersion de l’inflation. La figure 1 trace l’inflation IPCH et deux définitions alternatives de l’inflation sous-jacente, depuis le début de l’Union monétaire européenne en 1999. Nous observons trois pics principaux dans les données. Le premier pic apparaît au début de l’UEM et dure environ un an, le deuxième pic au début de la crise financière dure plus de 3 ans, et le dernier est en cours.

Bien que les pics soient de taille comparable, leurs raisons sont différentes. Les divergences pendant la crise financière ont reflété l’accumulation de déséquilibres macroéconomiques. Or, les écarts d’inflation actuels reflètent des différences de dépendances géopolitiques en termes de mix énergétique mais aussi d’intensité énergétique de la production. Dans les deux cas cependant, ces divergences reflètent des différences structurelles dans l’économie et leur (manque de) résilience au choc en cours.

Le troisième casse-tête concerne à nouveau les divergences entre les pays, mais cette fois avec l’élargissement des écarts entre les pays qui augmentent déjà. Nous savons que les dettes des pays ne reflètent pas toutes le même degré de risque. Et en période de turbulences, les spreads des pays évoluent pour refléter cela. Cependant, cette fois est différente dans la mesure où c’est la politique monétaire elle-même qui est sur le point de déclencher cette fragmentation financière.

Jusqu’à présent, et aussi longtemps que la politique monétaire a été expansionniste, les objectifs de stabilité des prix et de stabilité financière ont été simultanément servis. Cependant, maintenant que la BCE est sur le point d’aborder la phase de contraction du cycle de la politique monétaire, les objectifs de stabilité des prix et de stabilité financière poussent dans des directions opposées. À mesure que les taux d’intérêt augmentent pour maîtriser l’inflation, les écarts entre les pays vont augmenter, entraînant une divergence des coûts de service entre les pays.

Compte tenu du poids non négligeable des obligations souveraines dans les bilans des banques domestiques, des spreads élevés peuvent conduire à une instabilité financière. Et dans tous les cas, des taux d’intérêt divergents perturbent le canal de transmission monétaire, ce qui menace à son tour la stabilité des prix et, en définitive, la monnaie unique elle-même.

La BCE ne dispose pas d’outils prêts à l’emploi adaptés à appliquer directement. Compte tenu de l’importance de la stabilité financière pour la zone euro, celle-ci doit chercher des moyens pour au moins neutraliser l’ampleur de l’augmentation des spreads qu’elle déclenche elle-même.

Même si l’inflation dans la zone euro est plus faible qu’aux États-Unis, les trois problèmes décrits font qu’il est beaucoup plus difficile pour la BCE de contrôler l’inflation et de préserver la stabilité financière. Une fois de plus, les limites de l’architecture de l’UEM sont visibles et devront être repensées.


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