En conversation avec Miles Corak

En conversation avec Miles Corak

Comparaisons des inégalités et de la mobilité entre les États-Unis et le Canada

Clémence : Vous avez également mentionné qu'une grande partie de votre travail est comparatif. Vous parlez beaucoup dans votre travail de la façon dont ces cas comparatifs peuvent nous aider à comprendre certaines des dynamiques sous-jacentes de la mobilité. Vous utilisez souvent le Canada comme cas de comparaison, car vous êtes Canadien de naissance. Et une chose intéressante à propos du Canada que je n'avais peut-être pas réalisé avant de préparer cette interview, c'est que le Canada a une très grande mobilité, même comparé à la France, par exemple, un pays qui a des niveaux de prospérité et des niveaux d'inégalité similaires.

Alors, je suis curieux de savoir si nous comprenons bien comment le Canada a atteint ce niveau de mobilité ? Et que nous disent ces comparaisons entre pays sur ce que le Canada a réussi à réaliser ?

Corak : Eh bien, Austin, je pense que c'est une question très bien posée. On voit souvent dans la politique publique américaine, dans les discussions sur ces questions, une comparaison avec le Danemark. Aujourd’hui, le Danemark, malgré tous ses avantages, est un très petit pays. Sa population est similaire à celle de la Caroline du Sud et elle est un peu plus petite que celle du New Hampshire et du Vermont réunis. C'est un pays ethniquement très homogène. Ses attitudes et politiques à l’égard de l’immigration sont très différentes. Je ne dis pas qu'il n'y a rien à apprendre du Danemark, mais je pense qu'il existe d'autres pays qui sont de toute évidence des pays dans lesquels l'apprentissage politique a lieu.

Mais il me semble que la comparaison la plus évidente est celle avec le Canada voisin. Les différences dans le degré de mobilité sociale, en gros, au Canada sont en moyenne environ deux fois plus mobiles qu'aux États-Unis. À première vue, cela laisse perplexe. J'ai étudié cela dans un certain nombre d'articles avec un certain nombre de co-auteurs différents, influencés en particulier par certains des premiers travaux de [Harvard University economists] Raj Chetty et Nathan Hendren, ainsi que leurs collègues. Ce que moi et mes co-auteurs Marie Connolly et Catherine Haeck [at the Université du Québec à Montréal] a été d'utiliser leurs données, qui, à l'époque, couvraient environ 700 zones de navettage aux États-Unis, et de développer un ensemble de données canadien similaire avec environ 300 autres zones de navettage, avec des données très similaires ou des groupes d'âge très similaires. Ces données sont en réalité tout à fait comparables.

Et nous nous sommes alors demandé : si nous avions ces quelque 1 000 régions qui couvrent le Canada et les États-Unis, pourrions-nous trouver des différences majeures entre les pays de chaque côté de la frontière ? De très nombreuses régions du Canada sont très similaires à celles des États-Unis, mais il existe deux différences qui entraînent des résultats de mobilité différents dans les deux pays.

Premièrement, les Noirs américains sont particulièrement exclus des possibilités de mobilité accrues aux États-Unis en raison de l’histoire et de l’héritage des défis auxquels ils sont confrontés, tandis qu’au Canada, leur équivalent est celui des peuples autochtones des Premières Nations. Certaines de ces communautés au Canada ont un degré de pauvreté intergénérationnelle qui rivalise avec celui de certains États américains comptant une importante population afro-américaine. Mais la différence entre les deux pays est que les groupes les plus susceptibles d'être confrontés à un cycle intergénérationnel de pauvreté aux États-Unis représentent 15 pour cent ou plus de la population, alors qu'au Canada, ils ne représentent qu'environ 5 pour cent. Ainsi, les défis et la longue histoire de racisme auxquels la communauté noire a été confrontée aux États-Unis constituent une raison importante pour laquelle elle diffère du Canada en termes de degré de mobilité intergénérationnelle.

L’autre différence se situe à l’autre extrémité de la répartition des revenus. Il existe de très fortes inégalités au sommet de la pyramide. Les cycles de privilèges intergénérationnels sont beaucoup plus forts et ont plus de force aux États-Unis qu’au Canada. C'est une chose d'être parmi les 1 pour cent des personnes ayant les revenus les plus élevés à Toronto et une autre sur l'île de Manhattan. Le cycle intergénérationnel de pauvreté, lié à la race aux États-Unis, et le cycle intergénérationnel de privilèges, lié aux niveaux très élevés d’inégalité des revenus aux États-Unis, déterminent tous deux le degré global de mobilité.

Pourtant, parmi les personnes qui, dans les deux pays, se situent dans la grande moyenne – les personnes qui se situent, grosso modo, au-dessus du cinquième inférieur de la répartition des revenus, mais en dessous du cinquième supérieur –, on observe une mobilité remarquable. En fait, si l'on prend les enfants qui ont été élevés au niveau du revenu médian, juste au milieu de la répartition des revenus, ils pourraient se retrouver n'importe où dans la répartition des revenus, sans préjudice. Cela ressemble à une égalité totale des chances. Les deux pays ont cette dynamique. C’est juste que l’échelle des revenus est beaucoup plus polarisée et dispersée aux États-Unis.

Ce sont en quelque sorte les statistiques que nous avons trouvées. Il est donc naturel de se demander ce qui se passe, notamment le rôle du gouvernement dans certains aspects importants de la vie des enfants dans les deux pays. Certes, il devient de plus en plus évident que certaines des politiques du gouvernement Trudeau, comme l'abaissement du seuil de revenu des familles à faible revenu grâce à des politiques d'impôt sur le revenu et de transferts progressifs, favorisent la mobilité. Il existe d’autres facteurs, mais en fin de compte, nous devrions nous concentrer sur les cycles intergénérationnels de pauvreté et sur ce que nous pouvons faire pour y remédier, ainsi que sur les cycles intergénérationnels de privilèges et sur ce que nous pouvons faire pour y remédier.

Certaines parties de l’élaboration des politiques publiques canadiennes reflètent les leçons apprises des États-Unis. Pensez au crédit d’impôt pour enfants. L’administration Biden a eu du mal à faire de l’expansion souhaitée du crédit d’impôt pour enfants une caractéristique permanente du système fiscal américain, mais il existe une version qui est en place en permanence au Canada et qui contribue à maintenir la pauvreté à un niveau bas.

Ce n’est là qu’un exemple de ce que les décideurs politiques peuvent apprendre en effectuant des comparaisons entre chercheurs, notamment en comparant les États-Unis et le Canada avec d’autres membres de l’OCDE. Après tout, si nous sommes tous sur la courbe de Gatsby le magnifique, ce n'est pas vraiment comme si nous pouvions la monter et la descendre. Nous devons faire des comparaisons judicieuses et comprendre comment les économies, les politiques publiques et les communautés fonctionnent dans les pays pour déterminer où elles se situent sur cette courbe et comment les politiques publiques peuvent affecter la courbe.

Clémence : Dans votre article de 2019 avec Marie Connolly et Catherine Haeck, vous examinez les matrices de transition des quintiles aux États-Unis et au Canada. Ces matrices de transition sont un outil courant en économie qui nous aide à comprendre la fréquence à laquelle les enfants des riches descendent dans l’échelle des revenus, les enfants des pauvres s’élèvent et, dans l’ensemble, ce qui arrive à la classe moyenne.

Mais vous faites une chose vraiment intéressante dans cet article, c'est-à-dire que vous examinez les enfants de parents canadiens dans différents quintiles et que vous placez ces enfants à la fois dans la répartition des revenus au Canada et également dans la répartition des revenus aux États-Unis. Pourriez-vous nous parler de ce que vous avez appris en faisant cette comparaison et de ce qu'elle démontre ?

Corak : Il était important pour nous de comprendre comment les Canadiens évolueraient dans la répartition des revenus aux États-Unis. Et ce que nous avons découvert est ce à quoi je faisais allusion plus tôt. Nous avons constaté que si de nombreux enfants canadiens à faible revenu étaient placés dans la répartition des revenus aux États-Unis, ils appartiendraient à la classe moyenne inférieure, selon la répartition des revenus aux États-Unis, mais ils ne seraient pas extrêmement pauvres ni parmi les très riches. À des fins de comparaison, il est important de placer les Canadiens dans la répartition des revenus aux États-Unis pour comprendre et analyser les différentes dynamiques.

Clémence : Ce que j'ai trouvé très intéressant, c'est que vous démontrez à travers ce processus que si vous êtes un enfant et que vos parents appartiennent à la classe moyenne ou en dessous de la classe moyenne, alors vos perspectives en tant qu'adulte sont en fait un peu meilleures au Canada qu'aux États-Unis. , même au sein de la répartition des revenus aux États-Unis. En d'autres termes, même si les États-Unis sont un pays plus riche par habitant, un enfant appartenant aux 40 pour cent ou peut-être même aux 60 pour cent les plus pauvres du revenu de ses parents au Canada s'en sort finalement un peu mieux qu'un enfant du États-Unis.

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