Qu’en est-il de la cohésion de l’UE ?

Qu’en est-il de la cohésion de l’UE ?

Nous ne sommes qu’à mi-chemin de la mise en œuvre de la facilité pour la reprise et la résilience (RFF) NextGenerationEU, le jugement final sur son succès reste donc à venir. Cependant, beaucoup sont enthousiasmés par le RFF parce qu’il a fait des choses dans lesquelles l’Union européenne n’est généralement pas douée : il a été créé rapidement alors que l’UE est généralement lente ; il a reconnu, pour la première fois, les avantages de l'émission de dette commune comme moyen de partager les risques et il a fait une tentative très honnête de conditionner l'aide apportée aux efforts fournis. Il l'a fait en apportant une aide selon les besoins. Cette dernière partie, qui reconnaît la nécessité de maintenir la cohésion au sein de l’UE, ne doit pas être oubliée alors que l’UE se précipite désormais pour retrouver sa compétitivité mondiale.

Dans son récent discours à la Sorbonne, le président Macron a présenté sa vision de l'Europe. Un discours sur l’Europe prononcé par n’importe quel président français en exercice sera toujours lu avec un grand intérêt à travers le continent. Motivé en partie sans doute par les prochaines élections, il s'adresse avant tout aux Français dont il a besoin du vote.. Le texte est parsemé d'hyperboles, L’Europe – elle peut mourir et les anglicismes ne doivent pas être utilisés (mais s'ils sont utilisés, des excuses seront présentées).

Mais une fois que l’on retire ce discours de son éclat oratoire, il s’agit d’une description de la façon dont l’âge de l’innocence est derrière nous, du moins dans un avenir prévisible. Les dividendes de la paix dont le continent avait bénéficié sont terminés. Les pays doivent consacrer quelques points de pourcentage de leur PIB aux investissements de défense. L’Occident ne peut plus dicter la manière de faire des affaires et, pour être compétitif, il doit subventionner les technologies qui domineront l’avenir. Nos économies devront s’appuyer beaucoup plus sur la production et la consommation intérieures plutôt que sur la production à l’étranger et l’exportation. S’appuyant sur cet argument, le président Macron affirme que les accords commerciaux sont donc moins pertinents.

La réponse qu'il propose est la rapidité, la simplicité et, bien sûr, une augmentation des investissements annuels de l'ordre de 600 à 1 000 milliards d'euros qui nécessiteraient l'implication du secteur privé. L’UE doit le faire pour gagner de l’ampleur et rivaliser avec les deux principaux acteurs mondiaux, les États-Unis et la Chine.

Tout cela est très bien, mais qu'est-ce que cela signifiera pour la cohésion interne de l'UE ? C'est là que le discours est muet.

Premièrement, le président Macron plaide en faveur d’un cadre de sécurité commun. Mais comment envisager un cadre commun sans politique étrangère commune ? L’argument de l’efficacité, souvent avancé, ne parvient pas à reconnaître l’hétérogénéité de l’approche des États membres en matière de sécurité. Si la menace est la Russie, la rapidité est essentielle. Il faut parvenir à une coordination pour aider l’Ukraine. À long terme, les efforts visant à faire progresser un cadre de sécurité européen devront surmonter de sérieux obstacles : il faudra prendre en compte la réticence des pays à renoncer à des degrés de liberté pour décider de la manière d'organiser leur défense, être placé dans le contexte de la façon dont il complétera ou contrarier l’OTAN et ce que cela signifierait pour les relations UE-États-Unis.

Deuxièmement, il plaide en faveur de subventions aux industries qui seront cruciales à l’avenir. Cependant, comme l’a démontré la levée des règles sur les aides d’État pendant la pandémie, les grands gagnants de cet assouplissement sont les grands pays car ils ont les moyens de soutenir leurs industries. Subventionner les technologies du futur peut contribuer à restaurer la compétitivité mondiale, mais cela se fera-t-il au détriment de l’égalité des conditions de concurrence au sein de l’UE ?

Troisièmement, le président Macron rejoint tout le monde sur la nécessité de faire progresser l’agenda de l’union des marchés des capitaux. Il propose d'y parvenir dans les 12 prochains mois en créant une autorité commune de surveillance des marchés de capitaux. Cependant, pour y parvenir en si peu de temps, on ne peut avancer qu'avec la « coalition des volontaires ». Mais si une Union à la carte est le seul moyen de progresser dans ce domaine, alors la cohésion est totalement compromise. Plus précisément : on ne sait pas vraiment comment des règles communes garantiront la création d’un marché commun des capitaux alors qu’une autorité commune de surveillance des banques qui existe depuis plus d’une décennie n’a pas fait grand-chose pour faire progresser un marché commun des services bancaires.

Le rapport Letta récemment publié sur le marché unique plaide pour le « droit de rester » comme étant l'essence même de la cohésion. L’UE ne compte pas seulement 450 millions d’habitants. C'est aussi 27 pays. On ne peut pas imaginer que l’ambition de l’UE d’être compétitive à l’échelle mondiale vaille la peine d’être réalisée au détriment du dépeuplement de pays entiers. Qui s'en chargera ?

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